Vers une source de neutrons portative?
Des chercheurs de l’Institut für Kernphysik, Technische Universität Darmstadt, Darmstadt, Allemagne, du Los Alamos Laboratory, Los Alamos, NM, USA et du Sandia Laboratory, Albuquerque, NM, USA ont réussi à obtenir une source compacte de neutrons pulsés d’une énergie supérieure à 150 MeV en dirigeant un faisceau laser pulsé de haute puissance et courte durée sur une cible spécialement conçue.
Les neutrons sont très utilisés pour l’étude de la matière condensée. Un faisceau de neutrons libres peut en effet pénétrer facilement dans des matériaux, gaz, liquides ou solides et y subir une diffraction. L’analyse des neutrons à la sortie permet d’étudier la structure atomique des corps traversés ou encore de réaliser une véritable radiographie d’objets denses . Les neutrons étant neutres électriquement, ils constituent des sondes non destructives d’un grand intérêt. En revanche, leur production nécessite jusqu’ici l’utilisation, soit d’un réacteur nucléaire spécialement conçu, comme celui de l’institut Laue-Langevin à Grenoble, soit celle d’un accélérateur de particules où celles-ci sont dirigées sur une cible adaptée.
Production de neutrons par laser pulsé de haute puissance
Dans l’expérience réalisée au Los Alamos National Laboratory, Fig.1, on utilise le laser pulsé de haute intensité TRIDENT de 200 TW de puissance (1 térawatt= 1012 Watt). Le flux de photons heurte une cible de 0,4 µm d’épaisseur en polyéthylène, qui est un polymère de radicaux CH2, ou une cible de 3,2 µm en polyéthylène deutéré (polymère de CD2) où les atomes d’hydrogène sont remplacés par des atomes de son isotope, le deutérium. Des protons, dans le cas de CH2, des deutérons (formés d’un proton et d’un neutron) dans le cas de CD2, sont émis. Ils vont heurter un bloc de de béryllium où ils sont convertis en neutrons de haute énergie. Le faisceau final de neutrons focalisé vers l’avant a une densité de 1010 neutrons par stéradian.
Où la relativité aide à la pénétration des photons laser
L’impulsion laser, en pénétrant dans une très mince couche de la cible de polyéthylène opaque, accélère à son début un grand nombre d’électrons de celle-ci.
Durant l’augmentation d’intensité de l’impulsion laser, les électrons deviennent relativistes (leur vitesse est proche de celle de la lumière), leur masse augmente, ils sont alors beaucoup moins facilement déplacés par les photons et s’opposent donc moins à leur pénétration. Celle-ci est considérablement facilitée : on dit qu’on a une « transparence relativiste » de la cible. Au voisinage du maximum d’intensité de l’impulsion, le laser interagit donc avec l’ensemble du volume de la cible, il fournit de l’énergie à l’ensemble des électrons, ce qui produit et accélère des ions H+( protons) ou des ions D+( deutérons), jusqu’à des dizaines de MeV.
Dans les dosimètres à bulles, des noyaux mis en mouvement par les neutrons ionisent un gel métastable, provoquant la vaporisation de bulles restant piégées dans le gel. On compte optiquement celles-ci.
Dans ce mécanisme, on observe que l’efficacité des deutérons est environ supérieure d’un ordre de grandeur à celle des protons, d’où le choix d’une cible en polyéthylène deutéré. Ces deutérons accélérés vont heurter une cible de béryllium (Be). Il se produit alors une émission de neutrons par désintégration de Be et par désintégration des deutérons. On obtient un faisceau sphérique et un faisceau focalisé plus intense. Ce dernier a une densité de neutrons de 1010 neutrons par stéradian.
Première radiographie à l’aide de neutrons obtenus par laser
Avec un faisceau de neutrons aussi intense, les chercheurs ont radiographié un objet opaque et macroscopique. Celui-ci est formé de trois blocs de tungstène(W) (Fig. 3) de tailles différentes. Un imageur de neutrons constitué d’un bloc de fibres plastiques scintillatrices suivi d’un détecteur de lumière permet d’obtenir une image à partir des neutrons sortant de l’objet.
Ces premiers résultats montrent qu’à partir d’ impulsions lasers intenses on peut obtenir une source de neutrons compacte (d’une taille de quelques mm), donnant des flux de neutrons de très courte durée ( 10-10 s) et d’énergie très élevée ( >150 Mev).
La petite taille de la source réduit celle des blindages, le flux de neutrons peut être très élevé et la résolution temporelle excellente. La voie est ainsi ouverte vers l’utilisation des neutrons dans des laboratoires de taille moyenne et les universités. Et les perfectionnements incessants des lasers pulsés de puissance laissent espérer dans un proche avenir la mise au point de sources de neutrons rapides pulsés réellement portatives.
Pour en savoir plus :
Bright Laser-Driven Neutron Source Based on the Relativistic Transparency of Solids
M. Roth, D. Jung, K. Falk, N. Guler, O. Deppert, M. Devlin, A. Favalli, J. Fernandez, D. Gautier, M. Geissel,
R. Haight, C. E. Hamilton, B. M. Hegelich, R. P. Johnson, F. Merrill, G. Schaumann, K. Schoenberg,
M. Schollmeier, T. Shimada, T. Taddeucci,J. L. Tybo, F. Wagner, S. A. Wender, C. H. Wilde, and G. A. Wurden
Physical Review Letters, 110, 044802 (2013)