Une « peau » artificielle qui, sous contrainte, change de couleur comme celle du caméléon
Des chercheurs de l’University of California Berkeley, à Berkeley, Californie, USA ont créé un matériau mince et flexible qui peut changer de couleur à volonté sous l’effet de faibles déformations. Il s’agit d’une membrane souple munie d’une structure nanoscopique de barreaux de silicium formant un réseau optique. Quand on tend la membrane, les écarts entre barreaux augmentent et la lumière diffractée réfléchie par ce méta-matériau est de longueur d’onde plus grande, donc déplacée vers le rouge.
Ce même mois de mars 2015, des scientifiques de l’université de Genève, en Suisse, ont publié un article où est démontré que les changements de couleur des caméléons ne sont pas dûs à des modifications chimiques de pigments mais aux variations de dimensions d’un réseau de petits cristaux, les iridophores, situés dans une couche sous la peau de ces animaux.
Le principe de la membrane flexible à changement de couleur
La membrane flexible contient des méta-structures composées de barres de silicium de taille nanoscopique alignées parallèlement pour constituer des réseaux de diffraction.
Les caractéristiques géométriques des nano-barres de silicium plongées dans un milieu d’indice moins élevé sont ajustées afin que la lumière diffractée le soit avec un fort contraste dans une seule direction (le premier ordre de diffraction) . Ceci constitue un phénomène de réflexion anormale à la surface de la méta-structure comme le montre la figure suivante.
La fabrication des méta-structures
On forme avec de tels réseaux des éléments (pixels) de 100 µm x 100 µm. Les méta-structures de chaque pixel ont des pas Λ (voir Fig. 1 b) qui diffèrent selon la couleur, 500nm pour le vert (λ = 540 nm), 532 nm pour le jaune (λ = 570 nm) et 558 nm pour l’orange (λ = 590 nm), avec une épaisseur tg=180 nm pour ces dernières. Pour le rouge (λ = 630 nm), le pas est de 622 nm et l’épaisseur de 220 nm. Le rapport s/Λ est le même , 0,5, pour les pixels de toutes couleurs.
Pour les fabriquer, on utilise des plaquettes de silicium sur silice isolante SiO2. Comme on l’a vu plus haut, différentes couleurs sont obtenues par variation du pas des méta-structures. On utilise les techniques de photolithographie usuelles pour obtenir des rangées de pixels. On les sépare de leur support en silice par une attaque acide et on les transfère sur une feuille de PDMS.
Une seconde feuille de PDMS permet d’encapsuler le tout. L’échantillon ainsi obtenu a une épaisseur de 1 mm. Chaque pixel mesure 100 µm x 100 µm.
Les propriétés des méta-structures ainsi obtenues
Cette technique a permis d’obtenir des échantillons changeant de couleur pour des déformations aussi faibles que 1%.
La figure ci-dessous illustre cela sur des échantillons présentant divers dessins selon la lithographie utilisée pour leur préparation.
Comme on peut le voir sur la figure 4 , la couleur de la membrane est contrôlée par la contrainte qu’on lui applique. La déformation qui en résulte fait varier l’écart entre nano-barres de silicium et change donc le pas des réseaux. Pour des angles d’incidence et de sortie donnés, le contrôle du pas des réseaux entraîne celui de la couleur perçue. La figure 4 (c) montre, pour l’échantillon vert, qu’une élongation de 4.9%, qui correspond à un accroissement du pas de 25 nm seulement, suffit à faire changer la couleur du vert à l’orange, d’une longueur d’onde de 541 à 580 nm. Une extension plus grande peut encore modifier la couleur vers le rouge.
La vidéo suivante montre ce passage du vert à l’orange :
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Crédit Optica.CCL.
La figure 4(d) illustre le fait que l’on peut obtenir simultanément des changements de couleur pour différents motifs.
Le fonctionnement analogue de la peau du caméléon
Une équipe de chercheurs de l’université de Genève, en Suisse, s’est intéressé indépendamment à la remarquable propriété de changement rapide et complexe de couleurs observée chez les caméléons. En utilisant l’histologie, la microscopie électronique et des techniques de vidéographie photométrique, ils ont pu montrer qu’il existait dans le derme des caméléons un réseau de nanocristaux de guanine, les iridophores. Ce réseau qui est, dans ce cas, à deux dimensions, comme on le voit sur la figure 5, est responsable du changement de couleur par modification de son pas. . On a bien un phénomène analogue au précédent mais, cette fois-ci, la méta-structure est à 2 dimensions, formant ainsi ce qu’on appelle un cristal photonique.
Ajoutons que les chercheurs suisses ont pu aussi montrer qu’il existait une couche plus profonde d’iridophores qui, accordés dans l’infrarouge, réfléchissait celui-ci et contribuait ainsi à la régulation thermique de ces animaux par fortes chaleurs.
Les réseaux plans flexibles des chercheurs de Berkeley sont des méta-structures sur membrane de PDMS qui peuvent facilement être collées sur des objets et fournir ainsi une indication colorée de leurs éventuelles déformations. La déformation minima modifiant un pixel de ces méta-structures est si faible qu’elle peut être exploitée pour réaliser des systèmes d’affichage d’une résolution inférieure à 1 µm, bien meilleure que celle des dispositifs actuels.
Des applications en optique flexible sont envisageables qui iront du camouflage et de l’art visuel à grande échelle au marquage biologique et l’imagerie à l’échelle microscopique.
Pour en savoir plus :
Flexible photonic metastructures for tunable coloration
Li Zhu, Jonas Kapraun, James Ferrara and Connie J. Chang-Hasnain
Optica Vol. 2,No. 3/March 2015. Open Access.
Photonic crystals cause active colour
change in chameleons
Jérémie Teyssier, Suzanne V. Saenko, Dirk van der Marel & Michel C. Milinkovitch
Nature communications, March 2, 2015. Open Access.