Une intrication quantique entre deux lieux distants de 1200 km
L’intrication quantique est un phénomène physique dans lequel les états quantiques d’un système de 2 (ou plusieurs) particules sont dépendants même si les particules sont à grande distance les unes des autres. Limitons-nous à 2 particules. Leur intrication signifie que l’on ne peut séparer par aucune mesure l’état individuel de chacune des particules. Et ceci quelle que soit la distance qui les sépare. Deux objets intriqués ne sont pas indépendants, même s’ils sont à grande distance l’un de l’autre.
L’intrication quantique a des applications en information quantique : la cryptographie quantique, la télé-portation quantique et les réseaux quantiques.
La première obtention de telles particules intriquées est due au physicien français Alain Aspect qui, dans les années quatre-vingt, en plaçant une paire de photons dans des états de polarisation particuliers, a montré de façon irréfutable l’existence du phénomène d’intrication, jusque là purement théorique et controversé.
Expérimentalement, on a réussi, toujours en utilisant des photons et leur polarisation, à créer des états intriqués entre particules distantes. On a utilisé pour cela des fibres optiques ou l’espace atmosphérique reliant les deux lieux de l’expérience. L’atténuation de la lumière dans les deux cas n’a pas permis de dépasser une distance de l’ordre de 100 km.
Des physiciens des universités de Shanghai, Chengdu et de trois observatoires astronomiques en Chine ont choisi une approche innovante en utilisant un satellite et des technologies spatiales.
Un satellite peut, en effet communiquer avec deux stations terrestres séparées de milliers de km. Mais il s’y rajoute un autre avantage : l’atténuation de la lumière et la turbulence atmosphérique prédominent toutes deux dans les 10 km de la basse atmosphère. En dehors de cette zone, la transmission des photons est presque sans absorption ni déformation. On peut ainsi transmettre un signal optique à une distance d’un millier de km en ne traversant que quelques 20 km d’atmosphère.
Les scientifiques chinois ont développé un satellite spécialisé nommé Micius. Il a été lancé de Jiuquan, en Chine, et mis en orbite à environ 500 km d’altitude.
Il emporte une source optique de photons intriqués. Ceux-ci sont envoyés par deux canaux vers la terre.
La source de photons intriqués embarquée sur le satellite
Une diode laser en régime continu de 405 nm de longueur d’onde centrale « pompe » un cristal KTioPO4 placé dans un montage optique appelé interféromètre de Sagnac ( Fig.1. ci-dessous).
Le faisceau laser de pompe passe d’abord par un prisme de Wollaston qui transforme sa lumière non polarisée en deux faisceaux de directions différentes et de polarisation verticale pour une direction, horizontale pour l’autre. Ces deux faisceaux attaquent simultanément le cristal non linéaire. Dans celui-ci se produit une sorte de conversion paramétrique descendante spontanée. On produit ainsi des paires de photons (de 810 nm de longueur d’onde) dans des états intriqués de polarisation verticale et horizontale.
Avec un laser pompe d’une puissance d’environ 30mW, cette source émet 5,9 millions de paires de photons intriqués par seconde. Les deux faisceaux intriqués sont envoyés vers le sol par deux télescopes Cassegrain d’ouvertures 300 mm et 180 mm. A chaque faisceau de photons intriqués sont ajoutés un faisceau laser infrarouge (850 nm) pulsé de synchronisation et un faisceau laser vert (532 nm) de guidage.
La réception au sol
On a installé au sol trois stations de réception couplées au satellite afin d’assurer la distribution de l’intrication : la distance séparant Delingha, dans le Qinghai, de Nanshan, dans l’Urumqi est de 1120 km, celle la séparant de Lijiang, dans le Yunnan, est de 1203 km. La distance entre le satellite sur son orbite et les stations au sol varie de 500 à 2000 km. La figure suivante montre la localisation géographique des stations.
Comme les photons intriqués vont du satellite vers les deux stations à travers l’atmosphère, de nombreux effets obèrent la transmission, comme la diffraction du faisceau, les erreurs de pointage, la turbulence atmosphérique et l’absorption. Les techniques habituelles de transmission spatiales ne permettaient pas de surmonter ces difficultés. L’utilisation de télescopes à l’émission et à la réception a été d’un grand secours pour l’obtention d’un signal optique exploitable.
Les stations de réception à Delingha, Lijiang et Nanshan sont munis de télescopes de diamètres 1200, 1800 et 1200 mm respectivement. Ils sont suivis par une chaîne optique de détection et de pointage.
Le satellite suit une orbite synchrone avec le Soleil et passe en vue de Delingha et de Lijiang une fois par nuit pendant 275 secondes.
La mesure des pertes subies par le signal a montré que l’efficacité de cette transmission par satellite était de 12 à 17 ordres de grandeur plus élevée que
celle des transmissions au sol par l’atmosphère ou par fibres optiques.
Les mesures au sol ont montré qu’il y avait intrication entre deux photons séparés aussi bien entre Delingha et Nanshan(1120 km) qu’entre Delingha et Lijiang (1203 km).
L’intrication préparée sur le satellite a donc survécu à un long voyage et s’est retrouvée entre deux stations distantes de 1203 km.
Cette distribution par satellite de l’intrication pourrait avoir une application directe : celle de la distribution de clés cryptographiques basée sur l’intrication quantique. En effet, jusqu’ici, c’est le seul moyen proposé pour établir des clés de sécurité entre des endroits séparés d’un millier de km sur terre sans passer par un partenaire de confiance.
Une autre application serait une variante de la téléportation pour la préparation et le contrôle d’états quantiques. Cela pourrait ouvrir la voie à des réseaux quantiques de transmission d’information.
Sur le plan théorique, ces résultats confirment le caractère non local de l’intrication à une échelle de distance dix fois plus grande que celle atteinte jusqu’ici.
Pour en savoir plus :
Satellite-based entanglement distribution over 1200 kilometers
Juan Yin, Yuan Cao, Yu-Huai Li, Sheng-Kai Liao,1Liang Zhang,
Ji-Gang Ren, Wen-Qi Cai, Wei-Yue Liu, Bo Li, Hui Dai, Guang-Bing Li,
Qi-Ming Lu, Yun-Hong Gong, Yu Xu, Shuang-Lin Li, Feng-Zhi Li,
Ya-Yun Yin, Zi-Qing Jiang, Ming Li, Jian-Jun Jia, Ge Ren, Dong He,
Yi-Lin Zhou, Xiao-Xiang Zhang, Na Wang, Xiang Chang, Zhen-Cai Zhu,
Nai-Le Liu, Yu-Ao Chen, Chao-Yang Lu, Rong Shu, Cheng-Zhi Peng, *
Jian-Yu Wang, Jian-Wei Pan1,
Science, 356, 1140-1144 (2017)