Un hydrogel qui présente les propriétés d’un cartilage
Les cartilages qui recouvrent les os dans les articulations ont des propriétés mécaniques bien particulières. Ils résistent à de fortes compressions dans certaines directions, alors que, dans d’autres, ils peuvent se déformer facilement ou glisser les uns sur les autres. Une équipe de chercheurs japonais dirigée par Mingjie Liu du Centre pour la Science des Nouveaux Matériaux RIKEN (Saitama) a synthétisé un nouvel hydrogel dont les caractéristiques sont proches de celles des cartilages.
Un Matériau où l’on exploite la répulsion électrostatique
La conception de matériaux nouveaux utilise principalement des interactions attractives comme dans les polymères composites où des composants minéraux comme le graphite interagissent avec la matrice de polymère. Les chercheurs du RIKEN ont au contraire exploité des forces répulsives électrostatiques pour obtenir un hydrogel qui présente une forte anisotropie, c’est-à dire un comportement fortement dépendant de la direction des efforts appliqués.
Pour cela ils ont utilisé des oxydes métalliques de titane, appelés titanates, sous la forme de cristaux à deux dimensions formant des couches minces lamellaires d’épaisseur nanoscopiques (0,75 nm, c’est-à dire 0,75 10-9 m). On appelle TiNS ces « nanocouches » (en anglais nanosheets, NS) de titanate (Fig.1)
Ces TiNS sont dispersées dans une solution aqueuse colloïdale avec une proportion en masse de 0,8%. Elles sont chargées négativement en surface et, par effet d’écran, des ions positifs forment avec elle une double couche électrique. Entre les plans règne une interaction électrostatique que représente la figure ci-dessous.
La solution aqueuse contient des dérivés d’acrylamide qui vont se polymériser sous l’action d’une irradiation ultraviolette (λ= 260nm) formant ainsi l’hydrogel.
Sans autre traitement, les nanocouches de TiNS devraient s’orienter spontanément perpendiculairement les unes aux autres, diminuant ainsi les forces électrostatiques.
Mais l’équipe de Liu a découvert que si on appliquait pendant la polymérisation un très intense champ magnétique (10 T soit un million de fois le champ magnétique terrestre) les nanocouches s’orientaient parallèlement entre elles et le restaient après polymérisation. On obtient alors un hydrogel « orienté » schématisé sur la figure ci-dessous.
On distingue les plans parallèles de TiNS. La lumière est transmise dans les directions parallèles à ces plans et bloquée dans celles perpendiculaires à celui-ci. A cette propriété d’anisotropie s’ajoute un remarquable comportement du même type mais mécanique : Quand on comprime ce matériau perpendiculairement aux plans de nanocouches, la force de résistance de l’hydrogel vaut plusieurs fois celle obtenue quand la compression est parallèle aux plans. Cet effet provient de la force répulsive entre plans de TiNS. Il est différent de celui qu’on observe dans les matériaux composites à fibre qui sont plus résistants aux compressions parallèles à l’alignement des fibres. Si on applique une contrainte de cisaillement parallèle aux nanocouches (Fa, Fig. 3), la résistance opposée est environ 4 fois plus faible que si la contrainte de cisaillement est perpendiculaire aux nanocouches (Fb, Fig. 3). Les nanocouches TiNS peuvent en effet glisser les unes sur les autres si la contrainte de cisaillement leur est parallèle.
Des isolateurs directionnels de vibrations
En résumé, les nanocouches orientées et chargées électriquement incorporées dans l’hydrogel atténuent la déformation dans une direction tout en la permettant dans la direction perpendiculaire. Cela permet d’obtenir d’excellents isolateurs de vibrations comme en témoigne la figure 4 et les vidéos qui lui sont associées.
Sur la vidéo 1 suivante, on voit l’isolation des vibrations réalisée grâce aux cylindres d’hydrogel à TiNS orientés selon la figure 4 a). La plaque de verre et la sphère métallique restent en place.
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Vidéo 1. Crédit Nature.
Sur la vidéo 2, on peut observer qu’avec le même montage mais avec une orientation des plans de TiNS dans l’hydrogel perpendiculaire à la précédente(Fig.4 b)), il n’y a plus d’isolation des vibrations, plaque de verre et la sphère métallique sont éjectées.
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Vidéo 2. Crédit Nature.
Les nanocouches de TiNS chargées électriquement incorporées en restant parallèles dans l’hydrogel atténuent le frottement dans une direction tout en l’augmentant dans la direction perpendiculaire. Ceci permet une remarquable isolation directionnelle des vibrations.
La ressemblance avec les cartilages est certaine bien que ces derniers soient bien plus complexes. Ils sont constitués d’un hydrogel qui contient des cellules, les chondrocytes, capables de réparer de petites fissures de surface. Celles-ci surviennent en effet en raison du nombre énorme, un million par an, d’efforts subis, par exemple, par une articulation du genou.
L’hydrogel chargé de TiNS résiste à l’immersion dans une solution de sérum physiologique et pourrait donc, avec des variations idoines de composition, être incorporé au vivant. Sa résistance aux mouvements d’articulation reste encore à prouver.
Pour en savoir plus :
An anisotropic hydrogel with electrostatic repulsion
between cofacially aligned nanosheets
Mingjie Liu, Yasuhiro Ishida, Yasuo Ebina, Takayoshi Sasaki, Takaaki Hikima, Masaki Takata & Takuzo Aida.
NATURE | VOL 517 | 1 JANUARY 2015, p. 68-72