Un fil d’araignée en guise de super-lentille
On a montré récemment que des microsphères ou des microcylindres transparents pouvaient jouer le rôle de » super-lentilles » qui permettent d’observer des objets de taille inférieure à la limite de diffraction. Leur fabrication reste compliquée et nécessite de nombreuses et délicates opérations. Des chercheurs de l’Université de Bangor et de l’Université d’Oxford en Angleterre viennent de montrer qu’un simple fragment de fil de soie d’araignée pouvait jouer le rôle de super-lentille et fournir l’image d’un objet avec une limite de résolution 6 fois inférieure à celle due à la diffraction.
Champ lointain et champ proche
La limite de résolution due à la diffraction est associée à ce qu’on appelle le champ lointain. Il s’agit des ondes électromagnétiques qui se propagent de l’éclairage à l’objet et, réciproquement, de l’objet à l’instrument d’optique. Mais, à la surface de l’objet, ces ondes se transforment en ondes dites évanescentes dont l’amplitude diminue exponentiellement en pénétrant l’échantillon. C’est ce que l’on appelle les ondes de champ proche. Elles contiennent des informations sur l’objet d’une taille bien inférieure à la limite de résolution de diffraction. Tout l’objet de la microscopie en champ proche consiste à observer les ondes évanescentes en les couplant au champ lointain. Depuis une vingtaine d’années, on a utilisé pour cela des techniques de balayage basées sur des lasers monochromatiques qui ne pouvaient fonctionner en lumière blanche. Wang et al. ont alors proposé en 2011 un système utilisant comme super-lentilles des microsphères ou des microcylindres de 5 à 10 µm déposés sur l’échantillon. Ce système fonctionnant en lumière blanche atteignait un pouvoir séparateur de 50 nm, bien inférieur aux longueurs d’onde du visible (446 à 700 nm).
La lentille cylindrique en soie d’araignée
Ces chercheurs ont eu alors l’idée de remplacer ces dispositifs de fabrication très délicate par un fil de soie d’araignée. Ils ont trouvé que les fils de l’araignée Nephila edulis convenaient parfaitement. La figure 1 ci-dessous schématise leur montage. Un simple ruban adhésif transparent maintient la super-lentille cylindrique en soie d’araignée de 6,8 µm de diamètre et d’indice de réfraction de 1,55 au contact de l’échantillon. Pour obtenir des fils du diamètre voulu, la soie est déroulée directement à partir d’une des glandes séricigènes de Nephila edulis, appelée glande ampullacée mineure.
Les objets sont observés en réflexion avec un microscope éclairé en lumière blanche par une lampe halogène dont le maximum d’intensité est à la longueur d’onde λ = 600 nm. La fibre de soie constitue une microlentille. Celle-ci, en contact serré et adapté optiquement par l’alcool isopropylique avec l’objet à imager, transfère les ondes évanescentes de l’objet à l’objectif de microscope à champ lointain. C’est à cette conversion de champ proche à champ lointain qu’est due la super-résolution. Celle atteinte avec le fil de soie d’araignée est de 100 nm, soit λ/6, bien au dessous de la limite de diffraction, λ /2NA. ≈ 333 nm. On peut l’apprécier sur la figure ci-dessous.
La lentille cylindrique que constitue le fil de soie d’araignée est un système grossissant à une dimension, elle grandit un objet perpendiculairement à son axe. C’est un système grossissant anisotrope. On peut s’en rendre compte sur la figure 2.b où il existe un angle entre les lignes de l’objet et leur image générée par le fil de soie. Des effets d’éclairage et d’interférences limitent l’image du réseau du disque Blue-Ray de la figure 2.d à la zone B de l’image , les zones A et C correspondant à de « fausses images ». On doit dans l’interprétation des résultats prendre garde à ces images artificielles qu’on peut distinguer par rotation de l’échantillon.
La figure 3. compare les images du réseau d’un disque Blue Ray obtenues en réflexion avec, respectivement, une microsphère en titanate de Baryum et un fil de soie de même diamètre. Le fil d’araignée résout nettement le motif de 100 nm mais l’image obtenue fait un angle avec la direction de l’objet, à la différence de celle donnée par la microsphère.
L’utilisation de la soie présente un net avantage, c’est que la fenêtre de vue s’étend sur toute la longueur de la fibre. Elle peut atteindre aisément plusieurs centimètres. Cela ouvre une perspective d’image de grande surface en super résolution. On peut imaginer en effet de faire tourner la microlentille en soie pour capturer ainsi des images sous divers angles. A partir de celles-ci, un logiciel reconstruirait une image à super résolution d’une taille de plusieurs centimètres carrés. Les chercheurs envisagent donc d’attacher le fil de soie à une nano-platine rotative intégrée à un microscope optique. Cette amélioration technique d’envergure est à leur programme.
Elle devrait conduire à la réalisation industrielle d’un nanoscope à fil d’araignée, instrument robuste et économique qui trouverait un grand nombre d’applications.
Pour en savoir plus :
Spider Silk: Mother Nature’s Bio-Superlens
James N. Monks, Bing Yan, Nicholas Hawkins, Fritz Vollrath, and Zengbo Wang
Nano Lett. August 17, 2016, published on line