Réfléchir l’infrarouge en s’inspirant des calmars !
Des systèmes qui reflètent le rayonnement dans la bande infrarouge (longueur d’onde≈0,7 mm à ≈1 mm) du spectre électromagnétique ont une grande importance technique. On en a besoin dans des domaines aussi variés que l’isolation thermique des immeubles, de certains composants des vaisseaux spatiaux et de dispositifs électroniques, ou encore pour les vêtements de protection et les systèmes de camouflage. Si, en outre, leurs propriétés réflectives peuvent s’adapter en réponse à des stimuli externes, ils n’en seront que plus utiles. C’est ce que des chercheurs de l’University of California, Irvine, USA, ont réussi à obtenir en s’inspirant des variations d’apparence de la peau des céphalopodes.
Un système adaptatif de réflexion infrarouge devrait reposer sur un mécanisme simple d’activation et de réponse rapide, pouvoir fonctionner à la température ambiante ou une plus basse, être accordable sur un domaine spectral étendu, avoir une bonne reproductibilité et enfin être robuste et facile à fabriquer. Ce sont ces qualités que les chercheurs se sont efforcés d’atteindre alors que les divers mécanismes essayés auparavant étaient loin d’y parvenir.
Une peau bien expressive !
La peau des céphalopodes coléoïdes est souple et flexible. Elle permet les changements d’aspect de l’animal qu’illustre la Fig.1.
[jwplayer mediaid= »23409″] Crédit Henrik Steenfeldt. CCALa peau de ces céphalopodes contient deux types de cellules adaptatives : des cellules pigmentaires appelées chromatophores, et des cellules réfléchissantes appelées iridocytes.
Les chromatophores (Fig.2. A) contiennent des petits sacs remplis de granules de pigment. Ces sacs se dilatent ou se contractent sous l’action des muscles radiaux des cellules.
Les iridocytes (Fig.2.B) contiennent des nano-couches de protéines séparées par un milieu extracellulaire. Cette structure rappelle celle des miroirs de Bragg.
Ces paquets de nano-couches ont une géométrie et des différences d’indice de réfraction qui varient sous l’effet de signaux biologiques en cascade, d’où des variations de réflectivité à diverses longueurs d’onde.
Des systèmes de réflexion de l’infrarouge inspirés des céphalopodes
La figure 2 ci-dessous schématise dans ses deux tiers supérieurs le mécanisme de changement des couleurs de la peau des céphalopodes et dans son tiers inférieur le système réfléchissant l’infrarouge construit par les chercheurs par analogie avec les variations dans le visible de la peau des calmars.
Ils ont conçu un dispositif en forme de condensateur à plaques parallèles avec des électrodes conductrices déposées de part et d’autre d’une membrane diélectrique (isolante) en élastomère (Fig.2 C,D). L’électrode supérieure est recouverte d’une couche réfléchissant l’infrarouge.
Avant d’être étiré mécaniquement, les dispositifs ont une petite surface active déformable, comme celle des chromatophores, elle est recouverte d’un arrangement dense de microstructures réfléchissantes de géométrie variable, correspondant aux iridocytes.
L’activation mécanique augmente la surface des dispositifs , ce qui module la quantité de lumière infra-rouge absorbée, de façon analogue aux chromatophores des céphalopodes (Fig.2. C, à droite) en même temps que la modification géométrique des surfaces actives module l’intensité de la lumière infra-rouge réfléchie, à la manière des iridocytes (Fig.2.D,à droite).
Outre l’activation mécanique, les dispositifs peuvent être commandés électriquement par application d’un potentiel entre des électrodes. Ceci se révèle infiniment plus simple. La figure 3 ci-dessous en montre la souplesse. On y voit non seulement un dispositif isolé (Fig.3.A) mais aussi une matrice 3 x 3 de dispositifs (Fig.3.B) dont on peut faire varier par commande des électrodes l’image infrarouge captée par une caméra.
Ces systèmes transposent dans le domaine de l’infrarouge une grande partie des propriétés naturelles dans le domaine visible de la peau des céphalopodes. Leurs caractéristiques excèdent déjà l’état de l’art en ce qui concerne la réflectivité infrarouge adaptative et les techniques du camouflage dans ce domaine électromagnétique. Ces systèmes de fabrication simple peuvent être utilisés dans l’élaboration de muscles artificiels à base d’élastomères, dans la génération d’énergie et l’optique adaptative. Enfin, ils peuvent ouvrir la voie à de nouvelles technologies de thermorégulation.
Pour en savoir plus :
Adaptive infrared-reflecting systems inspired by cephalopods,
Chengyi Xu, George T. Stiubianu, Alon A. Gorodetsky
SCIENCE, 359,1495-1500 (2018) 30 march 2018