Quand les champignons s’attaquent à l’inégalité de fertilité des sols
L’inégalité ne concerne pas que les humains. Elle existe dans la nature sous la forme de différences de fertilité entre divers points du sol. Dans l’association symbiotique entre champignons et racines de plantes qu’est la mycorhize, des échanges entre champignons, plantes et sols ont lieu.
Une équipe internationale de chercheurs à Amsterdam, Pays-Bas, groupant des néerlandais, des britanniques, un américain et un français, a pu montrer que ces échanges tenaient compte des inégalités de ressources autour de la plante mycorhizée. En développant une technique de traçage basé sur les boîtes quantiques, ils ont pu étudier quantitativement le transport de phosphore dans des mycorhizes de champignons. Ils ont montré que ces mécanismes tendaient à corriger l’inégalité entre les régions du sol riches et pauvres en phosphore.
La figure ci-dessous schématise la méthode utilisée :
Un champignon mycorhizal forme dans le sol des réseaux de filaments dont certains adhèrent aux racines de la plante en symbiose. Le champignon collecte le phosphore du sol et l’apporte à la plante hôte qui lui donne en échange du carbone. En effet, les champignons n’ont pas, à la différence des plantes, de fonction chlorophyllienne qui leur permette d’extraire du carbone du CO2 de l’atmosphère.
La méthode d’étude des échanges de nutriments
En marquant le phosphore avec les nanoparticules hautement fluorescentes que sont les boîtes quantiques, on peut suivre le mouvement des nutriments de leur points d’origine à travers les hyphes du champignon jusque dans les racines de l’hôte. Ceci se fait à l’aide d’une caméra à haute résolution.
Pour examiner comment le champignon répond à divers degrés d’inégalité de ressources, les chercheurs ont modifié la distribution des nutriments autour du champignon pour l’exposer à des portions plus ou moins riches en phosphore marqué. Comme le phosphore peut être marqué par des boîtes quantiques de couleurs de fluorescence différentes selon qu’il provient d’une portion riche ou pauvre en phosphore, on peut déterminer si les ressources en phosphore sont stockées, déplacées ou transférées à l’hôte.
Les boîtes quantiques sont attachées à des cristaux d’apatite, phosphate de formule Ca5(PO4)3(OH) qui contient du phosphore.
Pour faire varier l’inégalité de ressources en phosphore, on a choisi de cultiver un champignon dans une boîte de Petri à trois compartiments (Fig.1. A).
Dans un compartiment on fait croître une racine de carotte (Deucus carota). Cette culture in vitro d’un organe racinaire est inoculée avec le champignon (Rhizophagus irregularis) et se développe dans des conditions standard. On autorise la croissance du réseau de filaments du champignon dans le compartiment où est confinée la racine, mais aussi dans les deux autres. Ces derniers sont physiquement séparés par une barrière plastique. Ceci permet aux nutriments de se déplacer dans le réseau fongique et à travers les racines mais non de se diffuser entre les trois compartiments.
Les échanges du champignon dépendent de l’inégalité des ressources
Tout d’abord, comme on s’y attendait, la plupart du phosphore de la racine provient du compartiment le plus riche en phosphore. Mais les contributions relatives envers la racine hôte des filaments colonisant les différents compartiments ne sont pas proportionnelles aux quantités de phosphore de chaque contenant. Au contraire, la portion de filaments fongiques poussant dans le compartiment pauvre en phosphore transfére plus de phosphore vers l’hôte que la portion du compartiment riche. La stratégie d’échange du champignon n’est donc pas uniforme, la portion des hyphes du champignon dans le compartiment pauvre en phosphore sur-contribue à l’échange tandis que la portion en compartiment riche y sous-contribue.
En utilisant une technique d’illumination par un faisceau laser avec une spectroscopie de chaque image, les chercheurs ont trouvé qu’un champignon face à moins d’inégalité stocke plus de phosphore le long de son réseau d’hyphes et contient de plus grandes structures de stockage. Ceci suggère qu’un champignon a tendance à stocker plus de phosphore quand l’inégalité est faible sur son réseau d’hyphes.
Le déplacement de nutriments d’une région riche à une région pauvre
Le réseau de filaments fongiques peut modifier l’échange de phosphore avec l’hôte en changeant la quantité de phosphore qu’il transporte, mais aussi l’endroit du réseau où il transfère ce phosphore.
Dans la nature, les réseaux mycorhizaux autour des arbres peuvent mesurer plusieurs mètres et être exposés à des conditions nutritives radicalement différentes. On peut se demander si un champignon va déplacer du phosphore des régions riches, où l’hôte est peu en demande, vers les régions pauvres, où la demande de l’hôte et du champignon lui-même est élevée.
En marquant les ressources en phosphore avec des nanoparticules de différentes couleurs de fluorescence selon leur origine, les chercheurs ont pu relever leurs trajets dans le réseau mycélien.
Ils ont alors découvert que les phosphores de différentes origines pouvaient se déplacer à travers le réseau d’hyphes des régions pauvres en phosphore vers celles riches et inversement. Cependant, en cas d’inégalité, on observe un plus important mouvement des régions les plus riches vers les plus pauvres. Au contraire en cas d’égalité, il n’y a pratiquement pas de mouvement entre régions. Ceci suggère que l’inégalité des ressources non seulement influe sur l’échange avec les racines mais aussi induit le champignon à déplacer les ressources dans son réseau des régions les plus riches aux plus pauvres.
Le suivi des particules dans le réseau mycorhizal
Pour s’assurer que le mouvement des ressources à travers le réseau des hyphes du champignon n’est pas dû à une simple diffusion, les chercheurs ont étudié l’écoulement des contenus cellulaires dans un seul hyphe . Il s’agit d’une autre expérience sans marquage par boîtes quantiques où l’on utilise une analyse vidéo à haute résolution (Vidéos 1 et 2). Ils ont pu mettre en évidence à la fois des modes de transport permanents et des modes bidirectionnels.
Les deux vidéos suivantes illustrent ces caractéristiques.
Vidéo 1. Gros plan sur l’écoulement dans l’hyphe
montrant l’inversion de sens au cours du temps
On observe bien les inversions du mouvement du contenu cellulaire qui se produisent plusieurs fois. Il n’y a pas de marqueurs à boîtes quantiques dans cette expérience.
Tiré de Mycorrhizal Fungi Respond to Resource Inequality
by Moving Phosphorus from Rich to Poor Patches across Networks
Matthew D. Whiteside, Gijsbert D.A. Werner, Victor E.A. Caldas, Anouk van’t Padje, Simon E. Dupin, Bram Elbers, Milenka Bakker, Gregory A.K. Wyatt, Malin Klein, Mark A. Hink, Marten Postma, Bapu Vaitla, Ronald Noe ,Thomas S. Shimizu, Stuart A. West, and E. Toby Kiers
Current Biology, Volume 29, Issue 12 , 17 June 2019, Pages 2043-2050.e8 Creative Commons CCBY
Vidéo 2 Inversions du sens des écoulements dans un plus grand réseau
Dans les mêmes conditions qu’en vidéo 1, vue des écoulements intracellulaires dans une région 4 fois plus grande. Sur le côté droit du triangle, on observe un mouvement du cytoplasme vers le bas, qui s’inverse vers le haut puis reprend vers le bas.
Tiré de Mycorrhizal Fungi Respond to Resource Inequality
by Moving Phosphorus from Rich to Poor Patches across Networks
Matthew D. Whiteside, Gijsbert D.A. Werner, Victor E.A. Caldas, Anouk van’t Padje, Simon E. Dupin, Bram Elbers, Milenka Bakker, Gregory A.K. Wyatt, Malin Klein, Mark A. Hink, Marten Postma, Bapu Vaitla, Ronald Noe ,Thomas S. Shimizu, Stuart A. West, and E. Toby Kiers
Current Biology, Volume 29, Issue 12 , 17 June 2019, Pages 2043-2050. Creative Commons CCBY
Il serait fort intéressant de mesurer les échanges de carbone de façon analogue à ceux de phosphore. Mais les organismes consomment le carbone à une vitesse bien plus élevée que le phosphore et la méthode précédente n’est pas adaptée pour l’instant.
Ces résultats suggèrent que des hétérogénéités spatiales de nutriments, même faibles, peuvent altérer la façon dont les organismes symbiotiques échangent des ressources. Ils montrent que l’exposition à une inégalité spatialepeut induire des champignons mycorhizaux à augmenter la quantité totale de de phosphore qu’ils échangent et aussi à le redistribuer dans leur réseau des régions riches vers les pauvres.
Les chercheurs envisagent d’effectuer de futurs travaux dans des conditions plus naturelles sur des ensemble de plantes in situ où il existe plusieurs symbioses fongiques par hôte et où le réseau mycélien connecte simultanément plusieurs plantes.
Pour en savoir plus :
Mycorrhizal Fungi Respond to Resource Inequality
by Moving Phosphorus from Rich to Poor Patches across Networks
Matthew D. Whiteside, Gijsbert D.A. Werner, Victor E.A. Caldas, Anouk van’t Padje, Simon E. Dupin, Bram Elbers, Milenka Bakker, Gregory A.K. Wyatt, Malin Klein, Mark A. Hink, Marten Postma, Bapu Vaitla, Ronald Noe ,Thomas S. Shimizu, Stuart A. West, and E. Toby Kiers
Current Biology, Volume 29, Issue 12 , 17 June 2019, Pages 2043-2050.