Les cataractes traitées par un collyre plutôt que par la chirurgie

La cataracte est l’opacification progressive du cristallin, lentille convergente située à l’intérieur de l’œil. C’est une affection très invalidante qui peut conduire à la cécité, elle est très fréquente chez les personnes âgées. Des chercheurs chinois de Shanghai, Guangzhou et Pékin, associés à une équipe de l’University of California, à San Diego, USA, ont fait une découverte susceptible de faire abandonner l’actuel traitement chirurgical de la cataracte au profit d’une simple instillation de gouttes dans l’œil. Ils ont montré que la protéine appelée lanostérol peut dissoudre les agrégats du cristallin et guérir ainsi la cataracte.

 
Le cristallin est composé de cellules fibreuses qui contiennent une très forte concentration de protéines appelées cristallines qui contribuent à sa transparence et à sa réfringence. La formation d’agrégats de ces protéines est le facteur principal de la survenue de la cataracte. Elle a pour cause les mutations de cristallines, à l’origine des cataractes congénitales ou le stress oxydant, qui contribue à la cataracte reliée à l’âge.

Le stress oxydant est une agression des constituants de la cellule dû aux espèces chimiques réactives oxygénées (en anglais, Reactive Oxygen Species, ROS) et aux espèces réactives oxygénées et azotées (RONS, N pour l’azote, symbole
venant du latin nitrogenium).

Le mécanisme exact par lequel ces protéines maintiennent la transparence du cristallin et évitent de s’agréger n’est pas complètement compris.

Fig.1. Section transverse du cristallin d’un œil de souris. On distingue la configuration en couches des cellules fibreuses et des noyaux (en bleu) de celles-ci qui migrent vers le centre du cristallin lors de leur maturation. Les cellules fibreuses contiennent des protéines cristallisées fortement ordonnées, les cristallines qui assurent la transparence du cristallin. La décomposition de ces protéines et leur agrégat peuvent conduire à l’opacité du cristallin, la cataracte. L’équipe conduite par Zhao a montré que la molécule de lanostérol pouvait dissoudre ces agrégats. Crédit Paul G. FitzGerald. Molecular Vision 2015 CC.

Fig.1. Section transverse du cristallin d’un œil de souris. On distingue la configuration en couches des cellules fibreuses qui le constituent. Les noyaux (en bleu) de celles-ci migrent vers le centre du cristallin lors de leur maturation. Les cellules fibreuses contiennent des protéines cristallisées fortement ordonnées, les cristallines, qui assurent la transparence du cristallin. La décomposition de ces protéines et leur agrégat peuvent conduire à l’opacité du cristallin, la cataracte. L’équipe conduite par Zhao a montré que la molécule de lanostérol pouvait dissoudre ces agrégats. Crédit Paul G. FitzGerald. Molecular Vision 2015 CC.

C’est en étudiant les gènes de deux familles affectées par des cataractes congénitales que Ling Zhao et al ont identifié deux mutations du gène qui code une enzyme, la  synthase du lanostérol (en anglais lanostérol synthase, abrégée en LSS), qui synthétise la molécule de lanostérol.

Un gène est une séquence d’une molécule d’ADN. C’est l’ordre de ses bases azotées, ou séquence de bases, qui constitue un langage codé. Si le gène est transcrit en une protéine, on dit que le gène code celle-ci.

Ils ont alors utilisé une analyse par simulation informatique pour analyser les effets des protéines mutantes et ils ont trouvé que ces deux mutations affectaient la structure enzymatique et le fonctionnement de LSS. Pour confirmer cela, ils réalisèrent alors une expérience in vitro où du LSS non mutant augmentait la production de lanostérol alors que les mutants ne le faisaient pas.
Puis les chercheurs ont fait s’exprimer des cristallines mutantes dans des cellules de cristallin humain. On a alors bien observé des agrégats dans toutes les lignées de cellules ainsi traitées in vitro. En outre, l’addition de lanostérol dans le milieu de culture réduisait notablement le nombre et la taille des agrégats.

Pour attester encore la réduction de la cataracte dans les tissus du cristallin sous l’effet du lanostérol, on a prélevé des cristallins de lapins atteints naturellement de cataracte . Ces cristallins ont été incubés 6 jours dans une solution de lanostérol. La comparaison de leur opacité avant et après l’incubation a nettement montré une forte tendance à la réduction de la cataracte (Fig. 2. a, b).

Fig.2. En haut : Photographies d’un cristallin de lapin atteint de cataracte, a, avant traitement in vitro par le lanostérol, b, après traitement , on remarque l’image de la grille transmise par le cristallin. En bas : Photographies d’un cristallin de chien atteint de cataracte, c, avant traitement, in vivo, d, après traitement par instillation d’une solution de lanostérol dans l’œil. Reproduit avec la permission de MacMillan Publishers : Nature, July 2015).

Fig.2.
En haut : Photographies d’un cristallin de lapin atteint de cataracte, a) avant traitement in vitro par le lanostérol, b) après traitement, on remarque l’image de la grille transmise par le cristallin.
En bas : Photographies d’un cristallin de chien atteint de cataracte, c) avant traitement. d) après traitement par instillation d’une solution de lanostérol dans l’œil. Reproduit avec la permission de MacMillan Publishers : Nature, July 2015).

Enfin une expérience  in vivo sur des chiens, a nettement montré (Fig. 2. c, d) que le traitement au lanostérol réduisait sévèrement la gravité de la cataracte et rétablissait la clarté du cristallin.

Ces résultats ont montré que le lanostérol inhibait la formation d’agrégats de protéines dans le cristallin et réduisait l’intensité de la cataracte. Ceci ouvre une nouvelle voie à la prévention et au traitement des cataractes. Celles-ci sont une cause majeure de cécité et, chaque année, des millions de patients subissent l’ablation chirurgicale du cristallin opacifié par la cataracte. La chirurgie a obtenu de grandes réussites, avec la mise en place d’une lentille en plastique à la place du cristallin. Néanmoins, elle entraîne parfois des complications, à l’issue parfois mortelle. Un traitement pharmacologique pour guérir la cataracte aurait donc un fort impact sur la santé et l’économie médicale . En outre, ces méthodes de recherches génétiques pourraient être utilisées pour trouver un traitement des maladies à agrégats de protéines comme les maladies neuro-dégénératives (par exemple, la maladie d’Alzheimer) et les diabètes.

Pour en savoir plus :
Lanosterol reverses protein aggregation in cataracts

Ling Zhao, Xiang-Jun Chen, Jie ZhuYi-Bo Xi, Xu Yang, Li-Dan Hu, Hong Ouyang, Sherrina H. Patel,
Xin Jin, Danni Lin, FrancesWu, Ken Flagg, Huimin Cai, Gen Li, Guiqun Cao, Ying Lin, Daniel Chen,
Cindy Wen, Christopher Chung, YandongWang, Austin Qiu, Emily Yeh, Wenqiu Wang, XunHu, Seanna Grob,
Ruben Abagyan, Zhiguang Su, Harry Christianto Tjondro, Xi-Juan Zhao, Hongrong Luo, Rui Hou, J. Jefferson P. Perry,
Weiwei Gao, Igor Kozak, David Granet, Yingrui Li, Xiaodong Sun, JunWang, Liangfang Zhang, Yizhi Liu,
Yong-Bin Yan & Kang Zhang

Nature, July 2015, publié en ligne.