Le flexo-électret : un nouveau dispositif pour senseurs et actionneurs
La flexo-électricité est un phénomène observé depuis longtemps sur des matériaux isolants, dits aussi diélectriques, aussi divers que des cristaux, des polymères, des membranes biologiques, des os, des cristaux liquides ou encore des semi-conducteurs.
Dans un diélectrique, il n’existe pas de charges susceptibles de se déplacer et de créer un courant. Le diélectrique est neutre, il contient un nombre égal de charges positives et négatives. En présence d’un champ électrique les charges peuvent bouger légèrement, formant des dipôles. Ces dipôles créent une polarisation qui a la dimension d’un champ électrique.
Une déformation non uniforme peut aussi créer une polarisation P. Quand on comprime uniformément un diélectrique, il ne se passe rien. Si on le déforme de façon non uniforme, par exemple en le faisant fléchir, la densité de charges n’est plus la même des deux côtés (Fig.1), il apparaît une polarisation, c’est la flexo-électricité. De nombreux matériaux comme les cristaux et les polymères présentent cet effet flexo-électrique. Il est très intense dans les céramiques, leur coefficient flexo-électrique, qui indique la tension générée par une flexion donnée, est élevé. Ce dernier est extrêmement faible dans les polymères qui sont en revanche plus déformables et beaucoup moins fragiles que les céramiques
Des chercheurs de la Xi’an Jiaotong University, Xi’an, Chine, ont trouvé un moyen simple pour augmenter l’effet dans un barreau macroscopique de polymère en incorporant une couche mince de charges électriques permanentes à l’intérieur du polymère
Ils ont ainsi obtenu à partir de matériaux mous, donc très déformables, des flexo-électrets qui ont une réponse à la flexion 100 fois plus élevée que le laissent prévoir les coefficients de flexoélectricité du matériau utilisé. De nombreuses applications aux senseurs et actionneurs sont envisagées.
L’augmentation de l’effet flexo-électrique
Pour obtenir de fortes déformations, une voie possible est d’utiliser des matériaux mous, susceptibles de les supporter sans se rompre. Il est donc intéressant d’utiliser des polymères. Cependant les polymères ont de très faibles réponses flexo-électriques.
Pour augmenter considérablement l’effet flexo-électrique, les chercheurs ont choisi de concentrer une importante charge négative sur une surface plane située au milieu de l’échantillon (Fig.1. a). Celui-ci est un barreau de polydiméthylsiloxane (PDMS), un silicone. Ce polymère est beaucoup plus déformable que le classique polyfluorure de vinylidène (PVDF) utilisé comme piézoélectrique.
Le principe du flexo-électret
Une couche de charge est placée sur le plan médian du barreau de PDMS, ceci polarise celui-ci et les polarisations induites au-dessus et au dessous de la couche de charges ont exactement la même intensité P0 mais des directions opposées. La polarisation totale est donc nulle. Si on applique une compression uniforme (Fig.1. c) au barreau, son épaisseur et sa longueur peuvent changer et la polarisation P0 devenir P3, mais la symétrie étant conservée, la polarisation totale reste nulle.
Quand on soumet le barreau à une contrainte non uniforme, comme une torsion, il ne conserve pas sa symétrie. Lors de la torsion, la partie inférieure est dilatée alors que la supérieure est comprimée. La densité de charges induites n’est plus la même sur les deux faces.
La déformation le long d’un axe perpendiculaire à l’épaisseur du barreau n’est donc pas uniforme. A cause de cette déformation particulière, les intensités de polarisation P’2 et P »2 (Fig.1.d) qui correspondent aux polarisations de la couche supérieure et de l’inférieure, respectivement, ne s’annulent pas et ceci crée une polarisation perpendiculaire au plan médian. Cette polarisation s’accroît avec l’augmentation de la torsion.
La fabrication du flexoélectret en PDMS
Les barreaux de PDMS sont obtenus par une méthode classique. On ajoute à la solution base de PDMS un durcisseur, on la place dans des moules et on chauffe le tout à 60°C durant 4 heures.
Les barreaux obtenus ont des dimensions de 100 mm x15 mm avec des épaisseurs de 1mm, 2,5 mm ou 5 mm.
Un film mince (30 µm) de Téflon (PTFE, polytétrafluoroéthylène) est soumis à un fort champ électrique. On le munit ainsi de charges négatives.
Le film mince chargé est placé entre deux barreaux de PDMS préparés auparavant comme ci-dessus.
On intercale entre le film et les barreaux une couche mince du mélange solution de PDMS- durcisseur. L’ensemble est chauffé à 80°C durant une heure. Ceci colle rigidement le film et les 2 barreaux.
La fig.2. ci-dessous schématise la mesure du coefficient flexo-électrique.
Quand on compare la courbe rouge continue à la courbe tiretée de la Fig.2 b, on observe une importante augmentation du couplage électromécanique du flexo-electret. L’exploitation des données montre que le coefficient flexo-électrique du flexo-électret est 100 fois plus élevé que celui d’un barreau en PDMS sans couche centrale de charges. Ce résultat a été observé pour une charge du plan médian correspondant à un potentiel de -5723 V.
L’effet observé par l’équipe chinoise est important. Cela pourrait motiver des recherches sur d’autres matériaux. Les chercheurs estiment que, d’ici 5 ans, le flexo-électret aura de nombreuses applications, comme les senseurs de déformation, les actionneurs et les dispositifs de récupération d’énergie mécanique. A condition que l’on ait trouvé un moyen d’empêcher la lente déperdition vers l’extérieur des charges implantées sur le plan médian.
Pour en savoir plus :
Flexoelectret: An Electret with a Tunable Flexoelectriclike Response
Xin Wen, Dongfan Li, Kai Tan, Qian Deng, and Shengping Shen
PHYSICAL REVIEW LETTERS 122, 148001 (2019).
Focus : More voltage from bending silicone rubber
Mark Buchanan,
April 12, 2019• Physics 12, 42