La fusion d’un couple d’étoiles à neutrons

C’est une observation astronomique extraordinaire que celle réalisée le 17 Août 2017. A 12H 41’ 04″, les observatoires  d’ondes gravitationnelles LIGO et VIRGO ont détecté les ondes générées par la fusion d’un couple d’étoiles à neutrons (fusion dénommée ultérieurement GW170817). Indépendamment, le télescope spatial Fermi équipé d’un système de veille des sursauts gamma a détecté un sursaut gamma (GRB 170817A) à environ 1,7 seconde de la fusion précédente.

Une étoile à neutrons est principalement composée de neutrons maintenus ensemble par les forces gravitationnelles. Elle est issue de l’effondrement gravitationnel d’une étoile massive ayant épuisé son combustible nucléaire, ce qui a entraîné l’absence de forces compensant la gravité. La masse volumique d’un tel objet est gigantesque (~ mille milliards de tonnes par litre). Sa masse est comprise entre 1,4 et 3,2 fois la masse du soleil alors que son diamètre est seulement de 20 à 30 km.

 

Un rayon gamma est une onde électromagnétique de fréquence > 3 1019 produit par  une transition d’un noyau atomique résultant d’une désintégration. Un sursaut gamma ou sursaut de rayons gamma (SRG ; en anglais gamma-ray burst, abrégé en GRB)  est une bouffée de photons gamma qui apparaît de manière aléatoire dans le ciel. Les sursauts de rayons gamma ont été découverts en 1960. On les a classés entre sursauts longs ou courts selon leur durée. Dès 2005, l’observation des sursauts gamma courts conduisit à l’identification de galaxies comme hôtes des sursauts. On étudia  alors en rayons X, dans le visible et en  ondes radio l’émission leur succédant. Ces observations confortaient l’hypothèse que les sursauts courts soient associés à la fusion d’étoiles à neutrons avec d’autres étoiles à neutrons ou avec des trous noirs.

 
A partir des signaux des ondes gravitationnelles, on a localisé leur source (grâce aux détections conjointes  des 2 sites de LIGO aux USA et de celui de VIRGO en Italie) dans une région du ciel d’une surface angulaire de 31 deg2. Après la communication aux observatoires du phénomène, moins de 11 heures après celui-ci, des astronomes travaillant à Cerro las Campanas au Chili ont découvert avec le télescope Swope de 1 m de diamètre un objet lumineux brillant et transitoire dans la région du ciel indiquée.

La localisation du phénomène

Alors que les observations d’ondes gravitationnelles faites par les sites LIGO indiquaient pour la source  deux régions orthogonales  du ciel d’une surface angulaire de 190° deg2,  la détection  par LIGO  et par le site franco-italien  VIRGO indiquait une région du ciel plus petite (31 deg2)  qui a permis très vite une observation visuelle de confirmation et de localisation. La figure ci-dessous résume ces observations.

Fig.1. Localisation de l’onde gravitationnelle, du signal de rayons gamma et des signaux optiques.
Sur la projection orthographique du ciel on a porté en vert pâle les deux régions à 90% de probabilité d’être l’origine de l’onde gravitationnelle détectée par LIGO seulement (190 deg2). En vert foncé est figurée la localisation (31 deg2) due à LIGO+ VIRGO. La triangulation obtenue à partir du décalage en temps entre les satellites détecteurs de sursauts gamma Fermi et INTEGRAL est indiquée en bleu clair ; celle obtenue par le seul satellite Fermi et ses détecteurs de sursaut gamma est figurée en bleu foncé.
 La photo en haut à droite montre l’image obtenue 10,9 heures après la fusion des étoiles à neutrons avec le télescope SWOPE ; on y remarque la galaxie NGC 4993 apparemment hôte du phénomène et un objet lumineux indiqué par des réticules : cet objet n’existe pas sur la photo (en bas à droite) de la même région du ciel prise 20,5 jours avant la fusion des étoiles binaires par le télescope DLT-40 de 40cm de l’observatoire de Cerro Tololo au Chili. Ce dernier a d’ailleurs pris 13 minutes après SWOPE un cliché identique où l’on distingue l’objet transitoire.
Tiré de Multi-messenger Observations of a Binary Neutron Star Merger
The Astrophysical Journal Letters, 848:L12 (59pp), 2017 October 20
With permission. © 2017. The American Astronomical Society. .CC BY.

 

Les diverses observations consécutives à GW 170817

-Les sursauts gamma
La détection de sursaut gamma eut lieu 14 secondes après la détection de GW170817 par LIGO-VIRGO.  C’est à un système de détection automatique installé sur le satellite Fermi qu’on la doit. Puis le satellite INTEGRAL chasseur de rayons gamma pointa son instrument selon les données de LIGO et Fermi et détecta lui aussi le sursaut.

-Les rayons X et les signaux radio
La détection de rayons X par le satellite Chandra et de signaux radio (de 1 MHz à 1000 GHz) par le réseau JVLA de 27 radiotélescopes de 25 m de diamètre disposés en Y installés  à Socorro, Nouveau Mexique, Etats-Unis fut effectuée 9 jours après GW170817 pour Chandra et 16 jours après pour JVLA. D’autres observations en rayons X furent faites par le satellite INTEGRAL.

– Les signaux dans les domaines ultra-violet, visible et infrarouge.
L’observation optique sur Swope a débuté dès que la nuit est tombée au Chili. Le résultat n’a pris que quelques heures. Comme, a priori, on pouvait s’attendre à une évolution rapide, il était urgent de faire des observations dans le domaine de l’ultraviolet, dans celui du visible et de l’infrarouge. Dans les deux semaines qui suivirent, on déploya un réseau de télescopes basés au sol d’ouverture allant de 0,4 m à 10 m et des systèmes montés sur des satellites couvrant un domaine allant de l’ultra-violet à l’infrarouge. On obtint ainsi des signaux dans toute la gamme de ces longueurs d’onde. La théorie prédisait justement que la fusion d’un système binaire d’étoiles à neutrons devait émettre des signaux électromagnétiques isotropes avec de premières émissions dans le visible et l’infrarouge.
-Les neutrinos
Il était envisageable  que l’émission de particules à vitesse proche de la lumière créée par la fusion des étoiles binaires produirait des neutrinos de hautes énergie (du GeV =109 eV à l’EeV =1018 eV).
Or aucune émission de neutrinos n’a été observée dans les 14 jours suivant GW170817 ni par le détecteur IceCube (voir le blog du 15 mars 2011) installé au pôle Sud, ni par le détecteur ANTARES installé au fond de la Méditerranée au large de La Seyne sur Mer, ni par l’Observatoire Pierre Auger installé en Argentine.

La fig.2.  présente une partie significative de la suite temporelle d’observations ayant été effectuées après la détection de GW170817 :

Fig.2. Suite temporelle des observations en optique et en ondes radio. Les six images de gauche sont les premières observations optiques dans le visible. Les deux images de droite figurent les résultats des observations en rayons X et en radiofréquences. Tiré de Multi-messenger Observations of a Binary Neutron Star Merger The Astrophysical Journal Letters, 848:L12 (59pp), 2017 October 20 With permission. © 2017. The American Astronomical Society. .CC BY.

Fig.2. Suite temporelle des observations en optique et en ondes radio.
Les six images de gauche sont les premières observations optiques dans le visible. Les deux images de droite figurent les résultats des observations en rayons X et en ondes radio.
Tiré de Multi-messenger Observations of a Binary Neutron Star Merger
The Astrophysical Journal Letters, 848:L12 (59pp), 2017 October 20
With permission. © 2017. The American Astronomical Society. .CC BY.

On a donc observé, pour la première fois, l’émission, par une source unique, d’ondes gravitationnelles et électromagnétiques. Les ondes gravitationnelles ont été attribuées à la fusion de deux étoiles à neutrons. Les observations d’ondes électromagnétiques ont conforté cette interprétation. Elles sont de trois ordres :
      •  un sursaut gamma court survenu très peu de temps après GW170817.

  • une émission transitoire dans les domaines ultraviolet, visible et infrarouge associée aux suites de la fusion du système binaire. On la nomme kilonova et ceci en est la première observation. La galaxie  NGC 4993 apparaît dans ces mesures comme hôte du phénomène. On a observé une diminution d’intensité de ces signaux qu’on pouvait néanmoins encore observer quelques 37 jours après GW170817.
  • enfin des émissions bien plus tardives de rayons X et d’ondes radiofréquence encore détectables après 17 et 37 jours respectivement.

Toutes ces observations confirment l’hypothèse que  GW170817 a été produit par la fusion de deux étoiles à neutrons situées dans la galaxie NGC4993, fusion suivie par un sursaut gamma court et une kilonova alimentés en énergie par la désintégration radioactive de noyaux atomiques synthétisés dans la matière éjectée.
La vidéo d’animation due à la NASA illustre ce processus de fusion  :
[jwplayer mediaid= »23100″] Crédit NASA

Les observations précédentes sont en excellent accord avec ce que la théorie prévoyait du déroulement de la fusion d’un système binaire d’étoiles à neutrons.
En particulier, elles ont démontré que les sursauts gamma si souvent observés (le télescope spatial Chandra en détecte un par semaine en moyenne) ont bien pour origine la fusion de deux étoiles à neutrons.

Pour en savoir plus :
Multi-messenger Observations of a Binary Neutron Star Merger
The Astrophysical Journal Letters, 848:L12 (59pp), 2017 October 20