Faire croître des composés semi-conducteurs cristallins sur n’importe quel substrat
La plupart des circuits intégrés et des dispositifs photoniques actuels sont obtenus par croissance épitaxiale de matériaux semi-conducteurs. Que celle-ci soit obtenue à partir d’une phase vapeur ou liquide, il était absolument nécessaire jusqu’ici que le substrat sur lequel se fait la croissance ait une surface parfaitement monocristalline ayant des éléments de symétrie communs à ceux du monocristal que l’on veut faire pousser. S’affranchir de cette contrainte permet d’utiliser des substrats comme le verre ou des plastiques, ouvrant des possibilités nouvelles. C’est ce qu’a obtenu une équipe de chercheurs de l’University of Southern California, Los Angeles, USA et du Lawrence Berkeley Nationl Laboratory, Berkeley, USA pour des composés semi-conducteurs comme InP ou GaAs.
L’épitaxie est une technique de croissance à orientation contrôlée. On l’utilise pour faire croître des couches minces de quelques nanomètres d’épaisseur. Classiquement, des atomes du cristal désiré sont déposés sur la surface polie d’un monocristal, le substrat, choisi de façon à avoir des paramètres cristallins proches de ceux du cristal qu’on veut obtenir.
Le dépôt d’atomes peut se faire par jets moléculaires, à partir d’une phase liquide ou d’une phase vapeur.
En utilisant une technique d’épitaxie en phase liquide modifiée, les chercheurs ont pu déposer des composés semi-conducteurs comme InP, GaP, InAs, InGaP, SnP, Sn4 P3, sur des substrats amorphes comme SiO2, Si3N4, TiO2, Al2O3, Gd2O3, SrTiO3 et le graphène, et ceci avec une géométrie adaptée à la technique de microfabrication standard des circuits intégrés.
La méthode de croissance en phase liquide sur gabarit
Pour ce faire, ils déposent sur un substrat non cristallin, par évaporation ou pulvérisation cathodique, un réseau de pastilles d’un métal qui est un des composants chimiques du semi-conducteur souhaité, par exemple In. Les pastilles sont surmontées d’une couche fine d’oxyde, comme SiO2. Ce réseau joue un rôle de gabarit, d’où l’acronyme anglais de cette technique : TLP pour Template Liquid Phase growing, soit croissance en Phase Liquide sur Gabarit.
La figure 1 représente des images au microscope optique de l’évaporation d’indium ou d’étain sur un substrat non cristallin. Ces six images correspondent à des rayons de pastilles différents.
Le gabarit formé par l’évaporation est alors chauffé sous atmosphère d’hydrogène, ce qui fait fondre le métal. Il est nécessaire que le métal fondu reste dans la géométrie originale du dépôt. Quand la température de croissance des cristaux est atteinte, on introduit un gaz précurseur dont un des composants se combine avec le métal initial pour fournir le semi-conducteur désiré. On peut voir sur la figure 2 un schéma de la méthode et des micrographies montrant la croissance des monocristaux du composé semi-conducteur InP.
A la différence des techniques de croissance en phase vapeur, où des films minces croissent à partir de nombreux sites de nucléation du substrat, dans le processus TLP, le flux du précurseur peut être contrôlé afin qu’un seul cristal se forme sur chaque gabarit circulaire. Au fur et à mesure de la croissance du cristal, du métal liquide est consommé, laissant derrière lui un monocristal ayant la géométrie du gabarit circulaire. En l’analysant en microscopie électronique tant en transmission qu’en balayage en transmission et par diffraction électronique, les chercheurs ont pu montrer que les cristaux obtenus par TLP étaient toujours d’excellente qualité quel que soit leurs composants.
Un modèle théorique
Le point délicat de la méthode TLP est le risque de démouillage de la pastille de liquide fondu sur le substrat car cela perturbe la cristallisation. Il existe pour un métal et un substrat donné un rayon critique RT de la pastille gabarit d’épaisseur h à partir duquel il y a démouillage. . La figure suivante montre le mouillage et le démouillage d’un gabarit d’indium sur un substrat en Gd2O3 non cristallin.
Les chercheurs ont développé à partir de leurs observations un modèle théorique qui explique leurs résultats et permet, pour un métal du gabarit donné et un substrat donné, de trouver des dimensions RT et h qui assurent le mouillage du gabarit et vont donc permettre à coup sûr une croissance monocristalline.
La polyvalence de leur méthode leur a permis d’obtenir toute une gamme de composés semi-conducteurs dont ils ont vérifié les propriétés électroniques et optiques. Ils ont même réussi à faire croître par ce procédé une hétérojonction formée par le contact latéral d’un cristal d’InP et d’un cristal de Sn4P3, de structures pourtant complètement différentes.
Le modèle de mouillage-démouillage d’un métal liquide confiné permet de trouver une condition géométrique assurant la création d’un gabarit en métal fondu mouillant n’importe quel substrat. La méthode de croissance de cristaux TLP rend possible l’intégration de matériaux de hautes performances électroniques et optiques sans passer par un substrat cristallin d’épitaxie classique. Alors que cette dernière ne peut servir à obtenir directement des couches multiples de dispositifs, la méthode de croissance TLP le permet . Cela pourrait conduire à des architectures plus sophistiquées que celles des circuits intégrés actuels. Avec la méthode TLP, on peut obtenir des matériaux cristallins directement sur des substrats arbitraires. En outre, on peut créer à l’échelle atomique des interfaces entre des matériaux sans relation épitaxiale, ce qui pourrait conduire à de nouveaux dispositifs électroniques et photoniques à haute performance.
Pour en savoir plus :
Confined Liquid-Phase Growth of Crystalline Compound Semiconductors on Any Substrate
Debarghya Sarkar, Wei Wang, Matthew Mecklenburg, Andrew J. Clough, Matthew Yeung, Chenhao Ren, Qingfeng Lin, Louis Blankemeier, Shanyuan Niu, Huan Zhao, Haotian Shi, Han Wang, Stephen B. Cronin, Jayakanth Ravichandran, Mitul Luhar, and Rehan Kapadia
ACS Nano 2018, 12, 5158−5167