Eliminer les pneus usagés en améliorant batteries et supercondensateurs
L’élimination des pneus hors d’usage est un réel problème pour l’environnement. En effet, on produit actuellement chaque année sur la planète un milliard et demi de pneus qui se retrouvent immanquablement une fois usés à l’état de déchets. Leur structure et la présence de nombreux additifs font qu’ils ne se décomposent pas et résistent aux attaques physiques et chimiques. Il s’ensuit qu’on les stocke souvent dans des décharges. Là, ils peuvent s’enflammer et leur combustion incomplète peut dégager des fumées, des produits toxiques et des odeurs désagréables. Ces tas de pneus dans les décharges sont un nid d’insectes, de moustiques, de bactéries et de rats. Recycler ces objets est donc nécessaire. La technique utilisée actuellement, pyrolyse à très haute température, fournit du ‘’syngaz ‘’, mélange de CO et d’H2 ainsi que du noir de carbone en poudre. Des chercheurs de l’Oak Ridge National Laboratory, Tenessee, de l’University of Tenessee et de la Drexel University, Philadelphie, aux Etats-Unis, ont mis au point des techniques pour, d’une part obtenir des anodes pour batteries au lithium leur donnant une capacité supérieure à celles existant actuellement, d’autre part élaborer des papiers polymère-carbone pour la fabrication de super-condensateurs aux caractéristiques deux fois plus élevées que celles obtenues aujourd’hui.
1- Le recyclage des pneus en anodes pour batteries au lithium
Le traitement classique par pyrolyse des pneus usagés fournit du noir de carbone ou charbon actif de qualité moyenne. Il constitue un additif de faible coût qui sert à fabriquer des électrodes utilisées aussi bien dans la métallurgie que comme anodes d’accumulateurs lithium-ion.
Pour améliorer les caractéristiques des anodes pour batteries lithium-ion, les chercheurs ont fait passer de la poudre de pneus de rebut dans un bain chaud d’oléum à 70°C pendant 12 heures.
Cette opération fournit une poudre de caoutchouc sulfonée.
Cette poudre est alors filtrée, lavée, comprimée. Le solide obtenu est alors pyrolysé à 1000°C en atmosphère inerte d’azote. On obtient finalement un solide contenant 40% de carbone ayant des pores de 3 à 5 nm (30 à 50 Å) et des micro-pores inférieures à 2 nm. .
Pour contrôle, on prend la même poudre de pneus usagés et on la pyrolise sans lui faire subir le prétraitement de sulfonation. On obtient une poudre contenant 33% de carbone dont les pores ont des diamètres allant de 1 à 35 nm (10 à 350 Å) avec une distribution dominée par des pores > 7nm (70 Å). Elle a aussi une structure moins ordonnée que celle du carbone obtenu avec pré-traitement de sulfonation (Fig.2.).
On a utilisé ces deux types de carbone pour constituer les anodes de batteries Li-ion de la taille de piles boutons et on a comparé leurs caractéristiques.
Le résultat est sans appel. Les anodes faites avec le carbone obtenu par la méthode avec sulfonation ont une capacité de charge réversible Cr plus élevée que celles fabriquées avec la poudre non sulfonée. La valeur de celle-ci est de 390 mA.h/g (1 mA.h =3,6 A.seconde = 3,6 coulombs) après 100 cycles pour les batteries avec anodes obtenues à partir du carbone sulfoné et de seulement200 mA.h/g pour celles avec anodes de contrôle.
2- Le recyclage des pneus en papier polymère-carbone pour super-condensateurs
Les chercheurs d’Oak Ridge ont exploré une autre voie pour utiliser les pneus usagés, c’est celle de l’obtention de papier polymère-carbone utilisé pour la fabrication d’électrodes de super-condensateurs.
Le stockage d’énergie par unité de poids d’un super-condensateur est intermédiaire entre celui, plus élevé, des batteries, et celui, bien inférieur, des condensateurs électrochimiques classiques. En revanche, le temps de charge est ultra court. Citons parmi les applications récentes deux d’entre elles : – des autobus hybrides où l’on récupère l’énergie de freinage pour l’utiliser au redémarrage de l’engin ; -un bateau-navette électrique sans batteries qui assure en Bretagne un trajet de 7 minutes suivi d’une recharge rapide de ses super-condensateurs durant 4 minutes.
Crédit Wikipedia Commons.
Le noir de carbone obtenu par pyrolyse après sulfonation n’est pas compressé comme ci-dessus : il est caractérisé par la petite taille de ses pores et sa grande surface de contact. Cela laisse espérer une grande possibilité de stockage de la charge électrique. On utilise ce charbon actif très divisé comme matrice de la polymérisation du polymère conducteur polyaniline (PANI). On obtient un papier composite très flexible et conducteur. Les super-condensateurs fabriqués avec ce papier ont une très forte capacité, un temps de charge rapide et surtout gardent leurs propriétés après dix mille cycles charge-décharge.
Les super-condensateurs sont riches de nombreuses applications. Outre celles signalées plus haut, on envisage d’utiliser des assemblages de super-condensateurs pour stocker les énergies renouvelables, comme celles fournies par les éoliennes ou les installations photovoltaïques, pour les restituer aux réseaux de distribution aux heures de pointe. Certains dispositifs de start et stop pour automobiles fonctionnent avec des super-condensateurs ; ils permettent de dégager moins de CO2 en arrêtant le moteur à chaque arrêt et en redémarrant le véhicule à volonté.
Ces deux filières pour le recyclage des pneus usagés, qui ont en commun leurs premiers stades, présentent un énorme intérêt pour la sauvegarde de l’environnement. D’une part, le recyclage des pneus usagés permet d’éviter leur stockage dégradant la nature, mais les produits de ce recyclage contribuent au développement de véhicules plus « propres » mais aussi à une meilleure utilisation des énergies renouvelables via les applications des supercondensateurs.
Pour en savoir plus :
Tailored recovery of carbons from waste tires for enhanced performance as anodes in lithium-ion batteries
Amit K. Naskar, Zhonghe Bi, Yunchao Li, Sam K. Akato, Dipendu Saha, Miaofang Chi, Craig A. Bridges and M. Parans Paranthaman, Royal Society of Chemisty Adv., 2014, 4, 38213.
Waste Tire Derived Carbon–Polymer Composite Paper asPseudocapacitive Electrode with Long Cycle Life
M.Boota, M. Parans Paranthaman, Amit K. Naskar, Yunchao Li, Kokouvi Akato
and Y. Gogotsi. ChemSusChem 2015, 8, 3576 – 3581