D’où vient le son du champagne ?
Si l’on porte à l’oreille un verre de champagne tout juste rempli, on entend un faible sifflement qui provient des fines bulles éclatant à la surface du liquide. Mais à quel mécanisme est dû exactement ce phénomène? Une suite rapide d’événements comme la nucléation de gaz, la rétraction d’un film liquide d’épaisseur de l’ordre du micromètre, conduisent à l’explosion des bulles de gaz à la surface du liquide.
En utilisant caméras rapides et enregistrement du son, des chercheurs de Sorbonne Université, CNRS, Institut Jean le Rond d’Alembert, ont réussi à comprendre le lien entre le comportement des bulles régi par la dynamique des fluides et l’émission de son.
La méthode expérimentale
Les chercheurs ont étudié le son émis dans l’air par des bulles d’air explosant à la surface du champagne ou d’un mélange d’eau et de surfactant (dodécylsulfate de sodium) dont les propriétés hydrodynamiques étaient très proches de celles du champagne.
Au fond d’un récipient parallélépipédique en plastique transparent, des aiguilles alimentées en air génèrent des bulles qui montent à la surface du liquide.
Deux caméras à grande vitesse fournissent des vues de dessus et de côté de bulles de la surface.
Un microphone de grande sensibilité est disposé près de la surface du liquide. Les signaux audio et vidéo sont synchronisés, permettant d’étudier des corrélations entre eux.
La fig.1 ci-dessous présente certains des résultats ainsi obtenus.
Fig.1. Enregistrement simultané du son émis par un verre de champagne et d’une vidéo de la surface du liquide vue de dessus
a) Dessin d’un verre de champagne avec un microphone placé à quelques centimètres de son bord.
b) Histogramme du rayon des bulles ayant éclaté extrait d’une vue de la surface du liquide à l’instant t 960 ms ( rayon moyen = 327 µm).
c) Evolution de la pression acoustique au cours d’un intervalle de temps de 1 s. (Le son est échantillonné à la fréquence de 500 kHz).
d) Pression acoustique durant un intervalle de temps de 5 ms centré sur un événement isolé d’émission de son se produisant à l’instant t = 961 ms.
e-h) Vues de haut de la surface liquide prises à 1/200 de seconde à l’aide d’une caméra rapide synchronisée avec le son.
e-f) Ces deux images et les deux parties g-h de leur agrandissement mettent en évidence la disparition d’une bulle à l’intérieur du cadre rouge dans l’intervalle de temps entre t = 960 ms et t = 965 ms.
i) Spectre en fréquence d’un enregistrement acoustique durant 1 seconde (c) (courbe noire) et l’agrandissement d’une durée de 5 ms de celui-ci (d) (courbe verte). La droite en tirets horizontaux bleus indique le niveau du bruit et celle verticale en tirets rouge indique la limite entre le domaine audible et celui des ultrasons.
Tiré de Sound of effervescence Mathis Poujol , Régis Wunenburger , François Ollivier, Arnaud Antkowiak , and Juliette Pierre, PHYSICAL REVIEW FLUIDS 6, 013604 (2021) Avec autorisation.
Si l’on compare les forces de gravité et celles de capillarité dans le champagne, ces dernières l’emportent de loin sur les précédentes, ce qui entraîne que les bulles y sont quasi sphériques.
Les bulles flottant à la surface sont presque entièrement submergées. A leur surface un mince film liquide sépare l’atmosphère du gaz contenu dans la bulle.
Le drainage dû à la gravité et l’action des forces de surface dues à la capillarité (tension superficielle) vont amincir de plus en plus le film qui éclate finalement, comme on le voit sur la Fig.2.
Fig.2. Vues de la rétraction du film liquide paroi de la bulle
Suite de photos d’une bulle d’air flottante de rayon R = 1,9 mm vue
de côté au-dessus de la surface libre du liquide. Elle montre la rétraction du film liquide séparant l’intérieur de la bulle et l’atmosphère. La flèche noire indique la position du bord du film qui se rétracte.
Tiré de Sound of effervescence Mathis Poujol , Régis Wunenburger , François Ollivier, Arnaud Antkowiak , and Juliette Pierre, PHYSICAL REVIEW FLUIDS 6, 013604 (2021) Avec autorisation.
La disparition du film entraîne une baisse soudaine de la pression, qui déclenche l’éclatement de la bulle (Fig.3. A, ci-dessous). Les images de ce phénomène prises avec des caméras rapides révèlent que cet évènement dure quelques millisecondes et comprend plusieurs étapes. Au début, le film liquide se rétracte durant typiquement 100 µs comme on le voit sur la Fig. 3 B.
L’effondrement de la cavité a lieu sur une plus large échelle de temps, typiquement deux millisecondes comme on le voit sur la fig.3 A. Finalement la cavité se réduit en éjectant un jet de liquide qui donnera des gouttelettes et/ou des aérosols.
Fig.3. Eclatement d’une bulle filmé en caméra rapide
A) Suite de paires d’images de l’éclatement d’une bulle de rayon 1,1 mm vue de côté au dessus et au dessous de la surface libre du liquide. Images obtenues à l’aide de deux caméras rapides synchronisées.
B) Signal de pression acoustique correspondant émis durant l’éclatement de
la bulle et détecté par un microphone placé à 20 mm au dessus de la bulle.
Tiré de Sound of effervescence Mathis Poujol , Régis Wunenburger , François Ollivier, Arnaud Antkowiak , and Juliette Pierre, PHYSICAL REVIEW FLUIDS 6, 013604 (2021) Avec autorisation.
On a donc ainsi obtenu une chronophotographie ultra rapide de l’éclatement de la bulle en même temps que le signal acoustique émis. La bulle émet (Fig.3B) du son durant les premières 200 µs après le début de la rétraction du film.
Comme la bulle ne disparaît pas immédiatement, sa partie submergée émet des vibrations acoustiques. Leur fréquence dépend du volume de la bulle et du diamètre du trou dans celle-ci. La fréquence croît quand la bulle diminue de volume jusqu’à la disparition de celle-ci. L’éclatement de bulles de la taille du micromètre ne sera audible qu’au début de la rupture tandis que celui de bulles d’une taille de l’ordre du millimètre le sera tout du long du processus.
Ces résultats s’interprètent bien en utilisant un modèle de résonateur de Helmholtz appliqué à la bulle, et non par celui d’oscillateur harmonique dit de Minnaert préféré jusqu’ici par les théoriciens.
Le résonateur de Helmholtz est un dispositif créé vers 1850 par Hermann von Helmholtz afin de déterminer la fréquence de différents sons. C’est une cavité de volume V fixe ouverte à l’extérieur par un trou ou un petit conduit. La résonance du son observée lorsque l’on souffle dans le haut d’une bouteille vide est un exemple de résonance de Helmholtz.
Les chercheurs ont modélisé avec succès l’émission acoustique de bulles de gaz éclatant à la surface libre d’un liquide, en particulier dans le champagne et les boissons gazeuses. Cette description quantitative pourrait être utilisée pour la synthèse de signaux acoustiques artificiels pour des films d’animation numériques.
Plus généralement et scientifiquement, cela pourrait aider à comprendre la signature acoustique des violents événements hydrodynamiques qui accompagnent l’impact sur une surface liquide de gouttes ou de sphères solides, le déferlement des vagues, l’éclatement des bulles de savon et même les éruptions volcaniques.
Pour en savoir plus :
Sound of effervescence Mathis Poujol , Régis Wunenburger , François Ollivier, Arnaud Antkowiak , and Juliette Pierre, PHYSICAL REVIEW FLUIDS 6, 013604 (2021)