Des séismes détectés par les fibres optiques des câbles sous-marins
Les câbles sous-marins que l’on pose actuellement au fond des mers ont un cœur en fibres optiques qui remplacent les conducteurs en cuivre. Car la bande passante élevée de la fibre permet de transmettre 65000 fois plus de communications que le cuivre. Mais ils peuvent avoir une autre application et constituer une sorte de réseau équivalent à un réseau de sismographes au fond des mers. C’est la proposition d’une équipe internationale de scientifiques du National Physical Laboratory, Teddington et du British Geological Survey, Edinburgh, en Angleterre, de l’Istituto Nazionale di Ricerca Metrologica (INRM), Turin et du Politecnico di Torino, en Italie, et de l’Université de Malte. En mesurant la faible variation de longueur d’une fibre optique due à un ébranlement sismique, on peut détecter ce dernier.
Une fibre optique est habituellement constituée d’un cœur cylindrique en verre entouré d’une gaine de verre d’indice de réfraction n2 inférieur à celui, n1, du cœur. Il y a donc réflexion totale à l’interface cœur-gaine pour tout rayon lumineux à l’intérieur du cœur peu écarté de l’axe. Une couche de protection renforce mécaniquement la fibre optique.
Eclaté d’un câble sous-marin de télécommunication à fibres optiques. 1. Polyéthylène. 2. Bande de Mylar. 3. Tenseurs en acier. 4. Protection en aluminium pour l’étanchéité. 5. Polycarbonate. 6. Tube en aluminium ou en cuivre. 7. Vaseline. 8. Fibres optiques
Wikipedia Oona Räisänen
Sismographes et fibre optique
Il existe des sismographes que l’on peut immerger au fond des mers. Ils ont permis de comprendre de nombreux mécanismes géophysiques. Ces systèmes sont déployés temporairement et sur une aire géographique limitée. Le Japon, les USA et le Canada ont installé des réseaux permanents de sismographes sous-marins dans des zones limitées sujettes aux séismes, à des fins de recherche et en tant que systèmes d’alerte de tsunami. Un réseau permanent de sismographes au fond des mers assez grand pour couvrir toutes les mers de la Terre serait d’un coût prohibitif. Le réseau actuel de télécommunication sous-marin fournit l’infrastructure dans laquelle on peut implanter un réseau sismique en temps réel si on utilise la fibre elle-même comme senseur.
Bien qu’elles aient été conçues a priori pour les télécommunications, les liaisons par fibre optique ont vite trouvé une autre application scientifique. Les laboratoires de métrologie et de conservation du temps ont utilisé la liaison par fibre optique pour comparer les fréquences des horloges atomiques de dernière génération. Il existe déjà en Europe 2200 km de liaisons par fibre optique qui relient la plupart des grands laboratoires de métrologie. On arrive à mesurer une variation de temps de l’ordre de la femtoseconde (10-15 s ) dans la propagation d’un faisceau laser à travers la fibre. Cette mesure est possible grâce à l’utilisation de lasers d’une énorme stabilité qui génèrent une lumière à phase stable durant le temps mis par la lumière à se propager à travers la fibre.
Première détection d’un séisme sur une liaison à fibre optique
Le 24 Août 2016, il s’est produit en Italie centrale un tremblement de terre de magnitude 6,0, suivi par deux répliques, l’une de magnitude 5,9 le 26 octobre, l’autre de magnitude 6,5 le 30 octobre.
Ces événements sismiques furent détectés au National Physical Laboratory (NPL) à Teddington en Angleterre au cours d’expériences de mesure de fréquence sur une liaison à fibre optique qui n’avaient rien à voir avec la détection d’ondes sismiques. Cette liaison à fibre optique reliait le NPL à un centre informatique situé à 79 km dans la ville de Reading. Celle-ci est à une distance géographique d’environ 1400 km de l’épicentre du séisme d’Italie centrale.
La figure 1 montre (en orange) le signal de fluctuation de phase induit par l’événement sismique du 30 octobre 2016 sur la lumière laser se propageant dans cette liaison optique. On a porté (en bleu) sur le même graphe le signal d’une station de détection sismique (Swindon) située à environ 100km du NPL. On voit que les signaux correspondent remarquablement.
D’autres événements sismiques furent ultérieurement détectés avec des liaisons optiques terrestres en Angleterre et en Italie avec un meilleur rapport signal/bruit dû à un échantillonnage 100 fois plus rapide.
Détection et localisation d’un séisme sous-marin
La détection des séismes par liaison optique terrestre était limitée par le bruit créé par toutes les activités humaines. On pouvait s’attendre à une plus grande sensibilité avec des liaisons optiques sous-marines. Pour tester ceci, l’INRM utilisa en septembre 2017 avec un laser ultra-stable une liaison optique sous-marine (IT-L2) de 98 km de long entre Malte et la Sicile. Durant les 2 jours de campagne de mesures, un séisme de magnitude locale (ML) de 3,4 avec un épicentre dans la Mer de Malte fut détecté. La distance minimum entre l’épicentre et le câble à fibre optique était d’environ 85 km.
On peut voir sur la Fig.2. ci-dessous le signal de phase optique que l’on peut comparer aux signaux de déplacement enregistrés par deux sismographes situés à quelques km de chaque extrémité de la liaison à fibre (MN.WDD, à Malte et IV.HPAC, en Sicile). On observe un retard de 2 s entre les signaux correspondants de la station MN.WDD et de la liaison optique. Il s’explique par le temps mis par le signal sismique à parcourir la distance entre le sismographe MN.WDD et l’extrémité à Malte de la fibre optique à la vitesse de 5 km/s. Celle-ci a été calculée à partir du retard observé entre les sismographes MN.WDD et IV.HPAC.
En supposant que le niveau de bruit soit du même ordre, les chercheurs s’attendent à ce qu’une liaison optique transatlantique de 5000 km ne soit que 7 fois plus bruyante que la liaison IT-L2. On peut d’ailleurs penser que des câbles posés au fond des océans, qui peuvent atteindre des profondeurs de 6000 m, seront moins sujets au bruit que ceux à 200 m de profondeur de la liaison IT-L2 au milieu du passage très fréquenté par les bateaux entre Malte et la Sicile.
Les câbles sous-marins traversent plusieurs zones sismiques actives comme la crête de l’Atlantique Nord et celle du milieu de l’Atlantique, y compris la jonction triple entre les plaques tectoniques de l’Amérique du Sud, de l’Amérique du Nord et de l’Afrique.
La surveillance de ces zones sismiques repose principalement sur des stations sismiques à terre. Des séismes sous-marins de magnitude inférieure à 4 ne peuvent être actuellement détectés car le signal est généralement très atténué avant d’arriver à terre.
On peut déterminer l’endroit où une onde sismique atteint une liaison à fibre en envoyant la lumière laser dans des directions opposées dans 2 fibres séparées. On peut en déduire le point de l’épicentre du séisme comme on peut le voir sur la Fig.3.
Les chercheurs ont testé cette technique au laboratoire. Sur une fibre de 126 km de long répartie sur 4 enroulements, ils ont pu identifier une perturbation à 6 km près.
Ils ont ainsi établi les bases de la réalisation d’un réseau mondial permanent de surveillance capable de détecter en temps réel un bien plus grand nombre de séismes sous-marins qu’actuellement.
Ce système peut être installé sur les liaisons en fibre optique existantes et n’exige qu’un seul canal de télécommunication par câble, les autres canaux restant disponibles pour le trafic. La couverture par câbles des mers et des océans ne peut que croître encore devant la demande actuelle et le besoin de liaisons de secours en cas de panne. La technique proposée est une façon économique de détecter les phénomènes au fond des océans en nuisant peu à l’environnement.
Pour en savoir plus :
Ultrastable laser interferometry for earthquake detection with terrestrial and submarine cables
Giuseppe Marra, Cecilia Clivati, Richard Luckett, Anna Tampellini, Jochen Kronjäger, Louise Wright, Alberto Mura, Filippo Levi, Stephen Robinson, André Xuereb, Brian Baptie, Davide Calonico
Science 14 Jun 2018
Seismology with optical links: enabling a global network for submarine earthquake monitoring
Giuseppe Marra, Cecilia Clivati, Luckett Richard, Anna Tampellini, Jochen Kronjäger, Louise Wright, Alberto Mura, Filippo Levi, Stephen Robinson, André Xuereb, Brian Baptie and Davide Calonico
arXiv.org>physics>arXiv1801.02698