Des nanoparticules qui collent des gels et suturent des plaies sur le vivant !
Les colles sont des polymères. En effet ceux-ci assurent un bon contact entre les surfaces à coller en couvrant les aspérités, ont des propriétés d’adhésion et retardent en dissipant de l’énergie la fracture des joints sous tension. On sait par contre qu’il est difficile de coller ensemble des gels de polymères et que cela requiert l’utilisation soit de réactions chimiques adéquates, soit de chauffage , soit de rayonnements UV, soit encore d’un champ électrique. L’équipe de chercheurs français (L. Leibler et al.) de l’ESPCI Paris Tech- MMC-CNRS , a découvert une méthode d’adhésion rapide, à température ambiante, entre deux hydrogels, qui consiste à enduire la surface de contact avec une goutte de solution aqueuse de nanoparticules et à mettre en contact les deux gels. Et cette technique a non seulement des applications en micro-fluidique et micro-ingéniérie, mais encore en médecine où ces mêmes chercheurs ont pu montrer qu’on pouvait l’utiliser pour la suture des blessures sur le vivant et même l’appliquer à des viscères comme le foie qu’on sait fort mal suturer par les méthodes classiques.
Le collage des gels
Le principe du collage est simple : pour coller efficacement, les chaînes de polymères du gel doivent être adsorbées sur la surface des particules. Il faut donc que celles-ci aient une affinité suffisante avec les chaînes de polymères du gel. Dans les couches adsorbées, il peut y avoir un échange de monomères entre les états adsorbés et désorbés. Ces processus d’échange permettent au joint de collage de supporter de fortes déformations et de dissiper l’énergie qui leur est associée.
Le phénomène inverse est la désorption.
La figure ci-dessous montre deux bandes de gel aqueux du polymère hydrophile PDMA (polydimethylacrylamide) collées à l’aide d’une solution aqueuse colloïdale de silice SiO2. La taille des nanoparticules de silice est de 15 nanomètres de diamètre.
L’application aux tissus biologiques
Les tissus biologiques mous ressemblent aux gels sous de nombreux aspects, bien qu’ils soient plus complexes du point de vue de leur structure et de leurs propriétés osmotiques. Il était tentant de voir si le collage par nanoparticules leur était adapté. Un premier essai a consisté à coller deux morceaux de foie de veau Cela a parfaitement réussi comme en témoigne la photo ci-dessous.
L’utilisation sur des organismes vivants
Après cet essai, une partie de l’équipe s’est associée avec des médecins de l’Université Paris 13 et de l’Hôpital Bichat à Paris pour tester sur le vivant les possibilités de cette technique innovante de collage.
Plusieurs expériences ont été réalisées sur des rats de laboratoire.
L’une a consisté à pratiquer des incisions sur la peau du ventre ou du dos. Elles ont été ensuite collées aux nanoparticules de silice ou suturées par fil ou encore collées avec une colle cyanoacrylate médicale. On peut voir sur la figure 4 des photos et coupes histologiques de cicatrices obtenues avec les trois méthodes citées ci-dessus.
On remarque que la cicatrice par nanoparticules de silice est d’une qualité similaire à celle obtenue par suture classique. Elle est bien supérieure à celle obtenue avec la colle Dermabond où l’on observe que les bords de la blessure ne sont pas joints correctement. Des sutures semblables ont été réalisées avec des nanoparticules d’oxyde ferrique Fe2 O3 , l’hématite, le résultat est aussi satisfaisant. L’oxyde de fer, à la différence de la silice, a l’avantage d’être métabolisé par l’organisme. En effet, les macrophages, globules blancs normalement présents dans les tissus, peuvent assimiler le fer dont ils assurent déjà le stockage et le recyclage.
Lors du rapprochement des bords d’une plaie de la peau, on obtient par simple compression l’arrêt du saignement, l’hémostase. Pour des tissus de viscères comme le foie, la rate ou le rein, ce n’est pas le cas d’où un grave problème en cas de blessure ou d’intervention chirurgicale où l’on pratique avec plus ou moins de bonheur cautérisation ou collage. Il était donc capital de voir si la nouvelle technique de suture par nanoparticules pouvait entraîner une rapide hémostase.
Dans ce but, on pratiqua des coupures de 1,5 cm de long et de 6 mm de profondeur sur le foie de rats vivants. On déposa sur les coupures une solution de nanoparticules de SiO2 ou de Fe2O3. Puis on rapprocha manuellement les bords des plaies. Au bout d’une minute, on obtint l’arrêt du saignement. Trois jours après l’opération, les rats étaient en bonne santé. Une micrographie d’une coupe à travers les tissus réparés pratiquée trois jours après l’intervention est présentée sur la figure 5, elle montre l’excellence de la cicatrisation.
Enfin, pour obtenir une hémostase après hépatectomie, on a utilisé les nanoparticules pour attacher une membrane d’alcool polyvinylique (PVA) sur la section du foie.
On a pratiqué sur un rat l’ablation de 2/3 du lobe droit du foie. On a pressé la membrane saupoudrée de nanoparticules de silice sur la section pendant quelques secondes et on a obtenu immédiatement l’hémostase. L’animal a très bien survécu à l’opération.
On a pu aussi coller par ce moyen à la surface d’un cœur vivant une pastille poreuse et biodégradable de polysaccharide qui, trois jours après, y était toujours attachée. Un tel système permettrait la délivrance d’un médicament in situ.
En conclusion, le collage rapide et solide obtenu avec les solutions aqueuses de nanoparticules est très prometteur dans nombre d’applications médicales. Pour les blessures de la peau, on obtient une cicatrisation très esthétique sans que cela n’exige aucun entraînement préalable. L’hémostase et la réparation des tissus obtenues dans le cas du foie suggère une utilisation en chirurgie du rein, du cœur et du poumon. Le collage in vivo d’un dispositif médical pourrait ouvrir de nouvelles voies en médecine réparatrice et régénérative. Le passage à l’expérimentation humaine requiert des études poussées sur la toxicité éventuelle des nanoparticules. L’utilisation de nanoparticules d’hématite semble, a priori, préférable à celle de nanoparticules de silice, mais là encore, il faudra procéder à une étude poussée pour garantir l’inocuité du procédé.
Pour en savoir plus :
Nanoparticle solutions as adhesives for gels and biological tissues
Severine Rose, Alexandre Prevoteau, Paul Elzière, Dominique Hourdet, Alba Marcellan & Ludwik Leibler
Nature, vol.505, p.382, 16 january 2014
Organ Repair, Hemostasis, and In Vivo Bonding of Medical Devices by Aqueous Solutions of Nanoparticles
Anne Meddahi-Pell, Aurélie Legrand, Alba Marcellan, Liliane Louedec, Didier Letourneur and Ludwik Leibler
Angewandte Chemie , 2014, 126, 1 – 6