Des cristaux carrés de glace entre deux feuilles de graphène
L’eau existe sous trois formes, liquide, vapeur et solide. Cette dernière phase, la glace, présente de nombreuses variétés, amorphes et cristallines. La forme cristalline la plus générale est de symétrie hexagonale, c’est elle qui gouverne la formation de toutes les formes si diverses de cristaux de glace observées dans les flocons de neige. Mais dans les cas où l’eau est absorbée à une interface et confinée dans de minuscules pores, la structure des éventuels cristaux n’a pu être jusqu’ici établie clairement. Cette eau confinée joue un rôle important dans de nombreux domaines allant de la science des matériaux et la géologie à la biologie et la nanotechnologie. A l’Université de Manchester (Angleterre), une équipe internationale de chercheurs de cette université, de l’Université d’Ulm (Allemagne) et de l’Université de Hefei (Chine), a réussi à obtenir des images au microscope électronique haute résolution d’eau emprisonnée entre deux feuilles de graphène. L’eau ainsi confinée à la température ambiante forme une nouvelle structure, des cristaux « carrés » de glace.
L’ équipe dirigée par A. Geim a déposé une minuscule quantité d’eau sur une feuille de graphène, puis l’a recouvert d’une deuxième feuille de graphène, à la température ambiante. Au fur et à mesure que l’eau s’évapore, les feuilles de graphène se rapprochent et s’attirent jusqu’à une distance inférieure à 1 nm, créant ainsi une forte pression entraînant la cristallisation de l’eau.
Crédit Wikipedia.
On voit ci-dessus, à gauche, une représentation de la molécule de graphène et, à droite, une représentation en perspective de celle-ci. Chaque petite sphère représente un atome de carbone. Le graphène a des propriétés remarquables de rigidité, de résistance mécanique et de conductivité électrique.
Pour obtenir la microphotographie de la Fig.1. à droite, une mono-couche atomique de graphène est placée sur une grille porte-objet de microscopie électronique, on y dépose un microlitre d’eau que l’on recouvre avec une autre mono-couche de graphène. Une partie de cette eau s’évapore doucement, faisant se rapprocher les deux feuilles de graphène. Les forces de Van der Vals entre les atomes des deux couches de graphène écrasent alors l’eau entre celles-ci, il n’en subsiste plus qu’une très faible quantité formant des poches dont l’épaisseur est inférieure au micromètre. La pression résultant des forces de Van der Waals est énorme, elle est de l’ordre de 1GPa (10 000 fois la pression atmosphérique), ce qui transforme l’eau en glace à la température ambiante.
Les échantillons ainsi obtenus sont alors introduits dans un microscope électronique à transmission. Les images sont analysées et comparées à des simulations numériques de dynamique moléculaire. La distance entre les atomes d’oxygène plus proches voisins est de 2,83 Ä (1 angström = 10-10m). Cette glace carrée est fort différente de la glace ordinaire. Dans l’eau, un atome d’oxygène est lié par deux liaisons fortes à deux atomes d’hydrogène. Il existe aussi des liaisons plus faibles vers des atomes d’hydrogène des deux plus proches molécules d’eau. Dans le cas de la glace ordinaire, les quatre liaisons forment une pyramide. Une couche de glace carrée est bidimensionnelle et les liaisons oxygène–hydrogène sont perpendiculaires. Les molécules d’eau des couches de glace adjacentes sont empilées de façon à ce que les atomes d’oxygène soient alignés les uns au dessus des autres, les images au microscope électronique le montrent sans ambiguïté.
La vidéo suivante montre la dynamique d’une couche bidimensionnelle de glace « carrée « .
[jwplayer mediaid= »19231 »]
On peut y voir une séquence accélérée de 101 images enregistrées durant 4 minutes, soit environ une image toutes les deux secondes avec un temps de pose de 1 seconde. Reproduit avec la permission de MacMillan Publishers : Nature 519, 443–445(26 March 2015) Square ice in graphene nanocapillaries G. Alara-Siller, O. Lehtinen, F. C. Wang, R. R. Nair, U. Kaiser, H. A. Wu, A. K. Geim & I. V. Grigorieva ©2015
Ces résultats ouvrent la voie à une meilleure compréhension du comportement de l’eau à haute pression, c’est-à-dire à l’obtention de ce que les physiciens nomment l’équation d’état de l’eau.
L’équipe de chercheurs pense que de la glace carrée peut aussi se former dans des milieux poreux dont les tubes sont de l’ordre des nanomètres. Leurs simulations numériques le prévoient. L’étude expérimentale de l’eau dans ce genre de capillaires permettra d’améliorer la technologie des filtres. Les membranes de graphène sont prometteuses d’applications à la désalinisation de l’eau de mer.
Pour en savoir plus :
Square ice in graphene nanocapillaries G. Algara-Siller, O. Lehtinen, F. C. Wang, R. R. Nair, U. Kaiser, H. A. Wu, A. K. Geim & I. V. Grigorieva
NATURE 519, 443–445(26 March 2015)