De l’électronique dans des plantes!
Les plantes dites supérieures (celles qui peuvent se se reproduire au moyen de graines) ont toutes des racines, des tiges et une vascularisation des feuilles qui constituent un vaste circuit. Celui-ci transmet, à l’aide d’agents chimiques, des signaux qui régulent la croissance et les différentes fonctions de la plante. En exposant les plantes à des produits chimiques ou en effectuant des manipulations génétiques, on a pu modifier artificiellement leur régulation, mais de façon assez grossière. De nombreuses inconnues de la biologie des plantes pourraient être comprises si l’on pouvait agir localement, in vivo, sur leur régulation. Des chercheurs de deux laboratoires suédois (Linköping University, Norrköping et Swedish University of Agricultural Science, Umeä, Suède) ont réussi, en utilisant un polymère conducteur organique inséré dans les canaux de la plante, à y construire des circuits électroniques susceptibles d’y délivrer des signaux chimiques complexes et localisés.
Des matériaux organiques composés de molécules simples et de polymères conduisant l’électricité par des électrons et des ions permettent de construire des circuits à la fois électroniques et électrochimiques qui sont biocompatibles et dont certains peuvent être incorporés dans des tissus végétaux.
Comme système modèle de plante, les chercheurs ont choisi des rameaux de rosiers à fleurs en bouquet (Rosa floribunda). La Fig.1. ci-dessous présente un schéma des principales structures existant dans la plante.
Le polymère conducteur poly(3,4-éthylènedioxythiophène), appelé PEDOT, possède une grande stabilité et une excellente fonctionnalité d’interfaçage avec des cellules et tissus biologiques . On a déjà réalisé avec ce matériau organique des transistors organiques électrochimiques (en anglais organic electrochemical transistors, abrégé en OECT). M. Berggren et al. ont utilisé deux formes dopées de PEDOT, le PEDOT-S:H et le PEDOT:PSS. Leur structure chimique est schématisée ci-dessous :
C’est après de nombreux essais infructueux avec divers polymères organiques conducteurs que les chercheurs ont finalement choisi les PEDOT.
L’insertion de PEDOT conducteur dans les canaux de la plante
La section de base d’un rameau de rose fraîchement coupé est placée dans une solution de PEDOT :S-H pendant 24 à 48 heures. La solution monte dans les canaux vasculaires du xylème jusqu’au sommet de la plante. Puis on sort la rose de la solution et on la rince à l’eau. On obtient ainsi dans les canaux de xylème la formation d’un hydrogel conducteur constituant des » fils électriques » dont on peut mesurer la conductivité à l’aide de sondes insérées dans le xylème (Fig. 2) et dont la longueur peut atteindre 10 cm.
Des transistors organiques électrochimiques dans la plante
Ces longs fils conducteurs dans le xylème ont permis de créer in situ dans la plante des transistors analogues aux transistors à effet de champ (FET) présents dans les circuits intégrés actuels à base de silicium.
La structure métal oxyde semi-conducteur est constituée de la grille, de l’isolant(SiO2) et du substrat semi-conducteur. Un champ électrique appliqué entre grille et substrat module le courant entre source et drain. La figure ci-dessous représente la coupe d’un tel transistor :Crédit Wikipedia Olivier Deleage.
Le transistor organique électrochimique construit dans le xylème est composé d’un substrat en fil conducteur PEDOT-S:H, d’une grille faite d’une sonde en or recouverte de PEDOT:PSS et de deux sondes d’or définissant les contacts de source et de drain. En appliquant un champ électrique (VG ) entre grille(G) et source (S), on diminue le nombre de porteurs de charges, donc le courant, entre source et drain(D) (Fig.3.)
En créant deux tels OECT successifs sur un fil de xylème, les scientifiques suédois ont pu obtenir une porte logique NOR ( Fig.4.). La combinaison de plusieurs portes de ce type permet de construire toutes les fonctions logiques.
Magnus Berggren et son équipe ont aussi réussi, par infiltration sous vide, à introduire dans l’apoplaste (voir fig.1.) de feuilles de Rosa floribunda du PEDOT:PSS combiné avec de la cellulose nanofibrillée (celle-ci, dite NFC, est de la cellulose réduite en particule d’une taille de l’ordre du nanomètre, un millième de micromètre). Un contact extérieur est obtenu par un film de 90µm d’épaisseur de PEDOT:PSS-NFC placé sur la feuille et communiquant par les stomates. En appliquant alors une tension constante, on obtient un effet d’électrochromisme : la surface de la feuille concernée s’obscurcit. L’effet est réversible. Il est visible sur la vidéo suivante :
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Crédit Science Advances C.C.L.
Ces circuits électroniques flexibles insérés dans des plantes vivantes ouvrent la voie à d’intéressantes applications. On pourra certainement acquérir de nouvelles connaissances sur la régulation des plantes à un niveau local.
On peut imaginer de munir quelques plantes d’un champ cultivé de senseurs électroniques. Ils permettraient de détecter quand les plantes commencent à secréter les hormones déclenchant la floraison, la maturation des fruits ou d’autres changements. Ceci pourrait aider les cultivateurs à arroser et donner de l’engrais aux meilleurs moments. On pourrait aussi utiliser l’électronique insérée dans les plantes pour accélérer ou ralentir la floraison en cas de météorologie menaçante.
Il faudra bien sûr adapter la technique à des plantes non coupées. Mais les cultures hydroponiques existantes laissent à penser que cela sera résolu.
Cette technologie électronique qui s’insère dans le réseau vasculaire de la plante donne à espérer d’accéder un jour au vieux rêve d’extraire directement des plantes l’énergie de la photosynthèse sous forme d’électricité, ce qui reviendrait à utiliser l’énergie du soleil sans pour autant détruire les plantes.
Pour en savoir plus :
Electronic plants,
Eleni Stavrinidou, Roger Gabrielsson, Eliot Gomez, Xavier Crispin, Ove Nilsson, Daniel T. Simon, Magnus Berggren.
Science Advances Vol 1, No. 10, 06 November 2015
In electrifying advance, researchers create circuit within living plant
R.F. Service, Science, News, Nov. 20, 2015