Comment les plantes détectent-elles la verticale ?
Les plantes sont sensibles à de très petits écarts à la direction de la verticale du lieu et maintiennent durant leur croissance une posture dirigée vers le haut.
Les senseurs de gravité des plantes sont des grains microscopiques d’amidon (les statolithes) qui s’entassent en petites piles granulaires au fond de certaines cellules. Il semblait étonnant que ce matériau granulaire détecte l’angle d’inclinaison alors que, semblable au sable, on s’attendait à qu’il présente un angle de seuil au-dessus duquel se déclenche une avalanche.
Des chercheurs de l’Université Aix -Marseille, de l’Université Clermont Auvergne, Clermont-Ferrand, du CNRS et de l’Institut Universitaire des Systèmes Thermiques Industriels , Marseille, ont montré que les statolithes se comportaient comme des liquides grâce à l’agitation engendrée par l’activité cellulaire.
Les plantes possèdent des cellules spécifiques, les statocytes. Elles contiennent des amas de particules riches en amidon, les statolithes, qui se sédimentent au fond de ces cellules et indiquent ainsi la direction de la verticale. Les scientifiques ont étudié le mouvement des statolithes in situ dans des coupes de coléoptiles de blé.
Ces coupes minces sont placées verticalement sur la platine d’un microscope incliné de 90°. La platine rotative peut être décalée d’un angle donné (Fig.1. A).
Les statolithes inclinés d’un angle par rapport à la verticale se sédimentent au fond des cellules après quelques minutes. On peut observer ceci sur la vidéo suivante après une rotation de 70° de la platine :
[jwplayer mediaid= »23464″]
Vue des avalanches de statolithes dans une coupe de coléoptile de blé après une inclinaison initiale de 70°. Chaque point noir correspond à une pile de statolithes. Vue accélérée 40 x, la durée réelle est de 10 minutes environ (1 image tous les 1,7 s).
Tiré de Gravisensors in plant cells behave like an active granular liquid
Antoine Bérut, Hugo Chauvet, Valérie Legué, Bruno Moulia, Olivier Pouliquen, and Yoël Forterre.
Proceedings of National Academy of Sciences, april 2018, Supporting information.
Les statolithes se déplacent collectivement comme une avalanche de grains en miniature. Mais, d’une part, ils se déplacent en réponse à la plus faible inclinaison et, d’autre part, la surface supérieure de leurs piles est toujours horizontale à la fin de leur mouvement. Ce comportement ressemblant à celui des liquides est strictement différent de celui des matériaux granulaires comme le sable, dont l’écoulement n’est possible qu’à partir d’un angle critique d’inclinaison. Toutefois les propriétés d’écoulement des statolithes ne sont pas exactement celles d’un liquide ordinaire. Le retour de leur surface à l’horizontale est beaucoup plus lent que celui d’un liquide.
L’évolution de la surface des piles de statolithes au cours du temps après une inclinaison de départ est étudié grâce à un procédé de suivi de la surface qu’illustre la vidéo suivante :
[jwplayer mediaid= »23465″]
Détection de la surface libre d’un amas de statolithes durant une avalanche. Séquence accélérée 120x.
Tiré de Gravisensors in plant cells behave like an active granular liquid
Antoine Bérut, Hugo Chauvet, Valérie Legué, Bruno Moulia, Olivier Pouliquen, and Yoël Forterre.
Proceedings of National Academy of Sciences, april 2018, Supporting information. C.C.
Quand la surface des amas de statolithes est redevenue horizontale après une inclinaison, un côté de chaque cellule est soumis à un poids plus important que l’autre côté. C’est ainsi que le statocythe peut mesurer l’angle d’inclinaison. Pour comprendre l’origine de ce comportement de liquide au bout d’un temps suffisamment long, il faut regarder à l’échelle des particules. On peut voir sur la vidéo suivante que celles-ci sont très mobiles :
[jwplayer mediaid= »23466″]
Vue en gros plan d’une avalanche de statolithes après une inclinaison initiale de 15°. Séquence accélérée 120x.
Tiré de Gravisensors in plant cells behave like an active granular liquid,
Antoine Bérut, Hugo Chauvet, Valérie Legué, Bruno Moulia, Olivier Pouliquen, and Yoël Forterre.
Proceedings of National Academy of Sciences, april 2018, Supporting information. C.C.
C’est cette mobilité qui modifie le comportement des granules et les rend quasi-liquides.
Pour comprendre le fonctionnement de l’inclinomètre constitué par l’ensemble des statocytes et en particulier le rôle de l’agitation thermique (brownienne) et des mouvements éventuels des parois des statocytes, les scientifiques ont adopté une méthode biomimétique. Ils ont construit un système artificiel de cavités remplies d’eau moulées dans une matrice de PDMS. Ces cavités imitent la géométrie des statocytes réels (100 µm x 30 µm x 50 µm). Les cellules ainsi obtenues étaient remplies de particules de silices de 4,4 µm de diamètre imitant les statolithes.
En comparant les résultats obtenus sur ces statolithes artificiels à ceux des statolithes réels, ils ont pu montrer que les statolithes réels étaient le siège d’une agitation 10 fois supérieure à l’agitation brownienne correspondant à la température du système. L’agitation des statolithes dans les cellules n’est donc pas brownienne et doit être due à un processus biologique interne à la cellule. L’activité du cytosquelette dans lequel sont implantés les statolithes est un bon candidat pour cette agitation.
Ces résultats donnent une explication physique de la forte sensibilité des plantes à une faible inclinaison. Ils renforcent l’hypothèse aujourd’hui fortement admise que le senseur de gravité des plantes soit un senseur de position : quand les statocythes sont inclinés, les statolithes s’écoulent et retrouvent une surface libre horizontale analogue à celle des liquides. Selon la même hypothèse, le signal de ce senseur devrait être proportionnel au sinus de l’angle d’inclinaison. Or, dans des expériences macroscopiques sur des pousses de plantes où l’on fait varier leur inclinaison, on retrouve une loi en sinus. Les chercheurs ont ainsi relié l’écoulement microscopique des statolithes à la réponse macroscopique des plantes.