Faire croître du graphène sur du cuivre en fusion
Le graphène est un matériau bi-dimensionnel cristallin, forme allotropique du carbone.
La résistance mécanique du graphène est 200 fois supérieure à celle de l’acier. Sa conductivité thermique est la plus élevée connue (5 300 W m−1 K−1).
Bien que son existence ait été prévue théoriquement dès 1947, le graphène n’a pu être obtenu qu’en 2004 par exfoliation du graphite. Il est couramment obtenu par dépôt chimique en phase vapeur sur un substrat solide mais avec des résultats très incertains.
Une équipe internationale de chercheurs ( Leiden University, Pays-Bas, Université de Grenoble, France, ESRF, the European Synchrotron, Grenoble, France, University of Patras, Grèce, Technische Universität München, Allemagne) a réussi à déterminer les conditions dans lesquelles peut croître le graphène sur du cuivre liquide. Ils sont ainsi arrivés à faire croître du graphène d’une superbe qualité, bien au-delà de celles obtenue par les autres procédés.
Ceci ouvre la voie à de nombreuse applications pour l’instant généralement seulement en projet :
L’excellente conductivité du graphène lui permettrait de remplacer les anodes de graphite des batteries au lithium et d’obtenir un temps de chargement 10 fois plus rapide.
Dans l’industrie des semi-conducteurs on espère, en remplaçant le silicium par le graphène atteindre un niveau de miniaturisation de l’ordre du nanomètre.
Des super-condensateurs constitués d’électrodes de graphène dans un électrolyte ionisé (cf Records de stockage d’électricité avec le graphène 16 Mars 2011, le blog des sciences) permettent d’atteindre une densité de stockage de charge électrique de l’ordre de 300 Farad/g, comparable à celle de batteries NI Fe, par exemple, mais avec des temps de charge extrêmement courts.
La forte absorption à large bande de la lumière par le graphène permet d’obtenir des cellules solaires de hautes performances.
La mise en œuvre industrielle de toutes ces applications repose sur la possibilité d’obtenir du graphène de bonne qualité sur une surface assez grande et à un coût raisonnable. C’est tout l’intérêt de la méthode proposée
Le dépôt chimique en phase vapeur de graphène se fait par décomposition d’un gaz précurseur riche en carbone sur un catalyseur chauffé, ici le cuivre fondu à environ 1097 °C sous la pression atmosphérique normale. Le carbone diffuse, se dépose en flocons qui nucléent et croît en une couche bi-dimensionnelle continue de graphène.
C’est en utilisant 4 différentes techniques in situ de suivi de la croissance du graphène sur le cuivre liquide que les chercheurs ont réussi à découvrir les conditions nécessaires à l’obtention de couches simple ou multiples de graphène
Leur montage permet en effet d’effectuer simultanément des mesures :
– de microscopie optique,
– de spectroscopie Raman,
– de diffraction par rayons X en incidence rasante,
-de réflectivité en rayons X
Les analyses ont été effectuées au Synchrotron Européen (ESRF) à Grenoble, France, celles en rayons x nécessitant une très haute énergie.
La figure suivante schématise les méthodes utilisées :
Grâce à cette quadruple observation de la croissance du graphène, les chercheurs ont pu déterminer la taille du cristal, sa forme,et sa qualité en optimisant les vitesses de croissance.
La figure suivante montre un exemple de croissance au cours du temps de graphène vu en microscopie optique.
On injecte (A) une haute concentration de méthane (CH4) dans le mélange argon-hydrogène balayant la cellule de préparation. Le graphène croît alors à partir de multiples germes (stades A à E). ). Dans les 2 derniers stades, les structures évoluent vers une mono-couche de graphène révélée par la phase(E) où une haute pression d’hydrogène réalise une attaque chimique La courbe indique la proportion méthane/hydrogène au cours du temps. Microscopie in situ.
Tiré de Real-Time Multiscale Monitoring and Tailoring of Graphene Growth on Liquid Copper Maciej Jankowski, Mehdi Saedi, Francesco La Porta, Anastasios C. Manikas, Christos Tsakonas, Juan S. Cingolani, Mie Andersen, Marc de Voogd, Gertjan J. C. van Baarle, Karsten Reuter, Costas Galiotis, Gilles Renaud, Oleg V. Konovalov, and Irene M. N. Groot ACS Nano 2021, 15, 9638−9648 https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acsnano.0c10377
La vidéo par microscopie in situ ci- dessous illustre la croissance du graphène. On y voit la croissance conduisant à une assemblée de flocons avec un ordre hexagonal, correspondant à la Fig.1 ci-dessus, stades A-E.
Au bas de la vidéo sont indiqués la proportion H2/CH4 et le temps correspondant à chaque vue. La barre d’échelle vaut 100 µm.
Tiré de Real-Time Multiscale Monitoring and Tailoring of Graphene Growth on Liquid Copper Maciej Jankowski, Mehdi Saedi, Francesco La Porta, Anastasios C. Manikas, Christos Tsakonas, Juan S. Cingolani, Mie Andersen, Marc de Voogd, Gertjan J. C. van Baarle, Karsten Reuter, Costas Galiotis, Gilles Renaud, Oleg V. Konovalov, and Irene M. N. Groot ACS Nano 2021, 15, 9638−9648 S.I. https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acsnano.0c10377 Avec autorisation.
Les chercheurs ont aussi utilisé des protocoles différents. En commençant par une phase de nucléation décroissante, Ils arrivent, par exemple, à faire croître un seul flocon ou germe sur la surface entière de cuivre fondu.
Tous ces résultats sont confirmés par les trois autres méthodes d’analyse utilisées. Les chercheurs sont ainsi arrivés à connaître tous les paramètres de la croissance du graphène sur cuivre fondu et à les maîtriser. On peut, au choix, fabriquer une seule couche de graphène monocristallin ou plusieurs superposées. Avec une vitesse de croissance d’environ 1µm/s, une résistance de surface de 280 Ω et une excellente qualité cristalline, ce procédé permet d’obtenir des monocristaux adaptés aux besoins de l’électronique.
Les forces de viscosité qui maintiennent le graphène sur le cuivre fondu sont extrêmement faibles devant les forces de friction sur un solide. On peut ainsi imaginer que la feuille de graphène en formation puisse être tirée de la surface du cuivre fondu sans refroidissement à température ambiante, empêchant ainsi froissement et pliage dus aux différences de dilatation thermique entre graphène et un substrat solide.
La voie est ainsi ouverte à une production industrielle du graphène et de ses nombreuses applications.
Cette méthode peut aussi s’appliquer à la croissance de diverses couches métalliques nanométriques à 2 dimensions, par exemple le nitrure de bore, BN, le nitrure de gallium, GaN ou encore des couches ultra-fines d’oxydes, le tout à des fins d’études scientifiques ou industrielles.
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