Du mycélium comme substrat de circuits électroniques
De nombreux dispositifs électroniques portables et autonomes ne cessent d’être réalisés et commercialisés. Ceci joint à la diminution de leur durée de vie entraîne une énorme quantité de déchets. Le recyclage et l’économie circulaire ne suffisent pas à stopper ce flux. Les circuits imprimés des téléphones mobiles, par exemple, contiennent 63% en poids de métal, 24% de céramique et 13% de polymères. Tout cela n’est pas dégradable, mais les substrats représentent 37% du poids total.
Des chercheurs autrichiens proposent d’utiliser comme substrat un film, une peau, en mycélium, parfaitement biodégradable, flexible et déformable.
La Mycélioélectronique
Certains papiers ont pu être utilisés comme substrats de senseurs ou de circuits intégrés mais, à la différence du mycélium, leur fabrication nécessite 300 millions de litres d’eau et environ 34 Gigajoules d’énergie par tonne sans compter les fortes quantités d’acides dangereux, de solvants et de bases utilisés.
On peut, au contraire, utiliser comme substrat électronique un nouveau matériau biodégradable, un film de mycélium d’un fongus, le Ganoderma lucidum, qui croît sur du bois mort et est bien connu des marcheurs dans nos forêts.
En couplant ce matériau, dont les performances approchent celles des micro-mousses de polymères, à des composants électroniques conventionnels non biodégradables, les chercheurs ont obtenu des dispositifs capables de diverses fonctions sans sacrifier la durabilité. La figure ci-dessous schématise cette approche.
La culture du mycélium, sa récolte et son utilisation
Le film de mycélium s’obtient ainsi : on utilise un bloc d’aggloméré à base de copeaux de bois de hêtre, de farine d’épeautre et de plâtre fin; on ensemence une de ses faces avec des spores de G. lucidum et on la recouvre d’une grille de séparation en polyéthylène. L’ensemble est maintenu à 25°C en atmosphère humide et riche en CO2. Ceci induit la formation d’un film de mycélium sur la surface et, associé à un faible éclairage, empêche la croissance de sporophores. On distingue 3 phases de développement du film. La fig.3 ci-dessous les représente.
La dernière phase de développement du film s’atteint en environ 5 semaines. Après la récolte, les films sont composés de mycélium vivant saturé d’eau. On les comprime et on les sèche. Cette technique fournit des films d’une surface de plusieurs mètres carrés. On utilise le même milieu de croissance pour cinq récoltes.
Les techniques de fabrication électroniques exigent que le substrat utilisé ait une grande stabilité thermique. C’est le cas des films de mycélium qui sont stables jusqu’à une température de plus de 250°C. Ceci permet le traitement des composants à la surface du substrat avec des techniques usuelles comme la soudure à l’étain.
Selon le temps de croissance ,on obtient des films de diverses épaisseurs. La table suivante illustre cela :
L’implantation des circuits électroniques sur le film de mycélium
On dépose par évaporation à la surface du mycélium des métaux : d’abord du cuivre d’une épaisseur de 400 nm (1nm = 1/1000 micromètre), précédé d’une couche d’accrochage de5 nm de chrome. Puis c’est une couche additive d’or de 50 nm qui augmente la conductivité et protège le cuivre de la corrosion. On peut aussi procéder par dépôt électrolytique. On obtient ainsi toutes les pistes et plots nécessaires à l’installation de composants.
Les propriétés électriques du mycélium jeune sont identiques à celles d’un substrat en papier.
Ce type de substrat supporte pliages et courbures en restant fonctionnel.
On peut donner au film de mycélium de nombreuses formes en le trempant dans du 2 propanol (alcool isopropylique) et en le faisant sécher dans un moule.
La Fig. 4 suivante illustre bien le montage de composants électronique sur le mycélium. On y voit le montage de plusieurs DEL.
Divers senseurs ont été fabriqués sur substrat de mycélium. Les composants peuvent être démontés et réutilisés dans d’autres circuits.
Accumulateurs flexibles et biodégradables en films de mycélium
Le film de mycélium a une autre application que celle de substrat de circuits électroniques. Sa structure hautement poreuse permet de l’imbiber de grandes quantités de liquide, d’où l’idée de l’utiliser comme séparateur d’électrodes dans des batteries « vertes ». Celles-ci peuvent d’ailleurs être aussi « embarquées » sur des circuits électroniques à substrat en mycélium.
La Fig. 5. montre la réalisation d’une telle batterie zinc-carbone avec contenant et séparateur en mycélium. L’électrolyte, solution de chlorure de zinc et de chlorure d’ammonium, imbibe le séparateur après un trempage de 12 H.
Les scientifiques autrichiens, en utilisant comme substrat du mycélium, ont réalisé des systèmes électroniques « durables »incluant même des batteries les rendant indépendants d’alimentation fixe. Ils ont mis au point la fabrication de pistes conductrices découpées par laser et de haute conductivité. Le caractère flexible de tels substrats leur permet de supporter 2000 flexions vers un rayon de 5 mm avec une très faible augmentation de résistance. Les batteries réalisées avec le mycélium ont alimenté des circuits sur mycélium capables de mesurer, de stocker et de transmettre des données d’humidité et de proximité.
Le mycélium peut ainsi être considéré comme un matériau durable ouvrant la voie à une future électronique « verte »
Pour en savoir plus :
MycelioTronics: Fungal mycelium skin for sustainable electronics
Doris Danninger, Roland Pruckner, Laura Holzinger, Robert Koeppe, Martin Kaltenbrunner
S C I E N C E A D V A N C E S. 8, eadd7118 (2022) 11 November
License 4.0 (CC BY-NC).