Des sons pour contrôler la viscosité
On appelle rhéo-épaississant le comportement de certains fluides (principalement des suspensions) dont la viscosité augmente lorsqu’on augmente le taux de cisaillement qu’on exerce sur eux. Ce comportement n’est généralement observé que dans une gamme limitée de taux de cisaillement.
Il est le fait de nombreux matériaux, certains même fort ordinaires, comme le ciment ou la fécule de maïs en suspension aqueuse.
Cette propriété ouvre à des suspensions denses de nombreuses applications industrielles comme l’absorption de chocs, l’amortissement d’oscillations, la réalisation de vêtements de protection, celle de scaphandres d’astronautes et enfin le polissage de surfaces courbes.
En revanche, cette augmentation de viscosité peut entraîner un blocage de l’écoulement et détériorer les pompes et les mélangeurs utilisés.
D’où la nécessité de contrôler la viscosité de la suspension et ceci sans changer ses autres propriétés physiques .
C’est ce qu’a obtenu une équipe de chercheurs de Cornell University, Ithaca, New York, USA. En appliquant des ondes acoustiques générées par des transducteurs piézoéléctriques à des suspensions colloïdales en régime rhéo-épaississant, la viscosité de celles-ci s’est vue abaissée d’un facteur 10.
Ces chercheurs ont déterminé que des perturbations acoustiques appliquées de l’extérieur peuvent modifier la viscosité d’une suspension dans le régime rhéo-épaississant. Les perturbations acoustiques peuvent ainsi manipuler les particules de façon contrôlée. Ces émissions sonores peuvent facilement être générées par des transducteurs piézoélectriques standard collés sur des surfaces fixes.
L’hypothèse à la base de cette découverte est que des perturbations acoustiques nanoscopiques doivent perturber localement les particules et couper les chaînes de particules liées par les forces d’interactions et responsables de l’épaississement.
La figure 1 ci-dessous schématise cela :
Les chercheurs ont testé cette idée en appliquant à une suspension colloïdale dense un cisaillement contrôlé et des excitations acoustiques simultanées.
La suspension est composée de particules de silice de 2 µm de diamètre dans du propylène glycol. La fraction présente de silice en volume est de 0,53 ou 0,5. La suspension est placée entre les deux plaques horizontales d’un rhéomètre du commerce. La plaque inférieure fixe repose sur un disque piézoélectrique. La figure 2 ci-dessous schématise le montage.
L’expérience se déroule ainsi : on applique à la suspension un cisaillement constant suffisant pour la rendre rhéo-épaissie. On lui applique alors une perturbation acoustique avec un piézoélectrique excité par un signal de 1,15 MHZ modulé en amplitude à la basse fréquence de 0,2 Hz.
On mesure la variation de viscosité en fonction de la perturbation acoustique pour différents efforts de cisaillement qui placent la suspension dans le domaine rhéo-épaississant.
Cette méthode présente des avantages énormes dans des applications ayant pour but l’augmentation du débit, le débouchage de canalisations et le contrôle de la viscosité.
On peut citer, par exemple, la maîtrise de l’occlusion de conduits de faible section où circulent des suspensions denses ou encore, en impression 3D, la possibilité d’éjection par une buse d’un matériau rhéo-épaissi.
Dans tous ces cas, on peut appliquer les perturbations acoustiques en collant simplement un élément piézoélectrique sur une surface fixe du montage, sans avoir à modifier celui-ci.
Enfin cette méthode constitue une base pour la conception de systèmes de transport de fluides rhéo-épaissis.
Pour en savoir plus :
Using Acoustic Perturbations to Dynamically Tune Shear Thickening
in Colloidal Suspensions
Prateek Sehgal , Meera Ramaswamy, Itai Cohen, and Brian J. Kirby,
PHYSICAL REVIEW LETTERS 123, 128001 (2019).