De l’anguille électrique à une nouvelle source d’énergie biocompatible
On cherche depuis longtemps à obtenir des alimentations électriques intégrables à un organisme vivant et capables d’utiliser l’énergie chimique disponible dans les systèmes biologiques. Or l’anguille électrique (Electrophorus electricus) possède, pour paralyser ses proies ou se défendre contre un prédateur, un organe électrique qui fonctionne dans un milieu biologique et qui parvient à fournir des tensions de pointe de 600 volts sous un courant de 1A. Des chercheurs de l’Université du Michigan, USA et de l’Université de Fribourg, Suisse, s’en sont inspirés pour imaginer une source d’énergie électrique à base d’empilement d’hydrogels qui, en assurant un passage sélectif d’anions ou de cations, génèrent 110 volts en circuit ouvert. Ce système biocompatible pourrait demain alimenter des pacemakers, des senseurs implantables ou même des prothèses.
L’anguille électrique et ses organes spécialisés
L’anguille électrique -commune dans les eaux douces du nord de l’Amérique du Sud- possède des milliers de cellules spécialisées, les électrocytes, capables de produire des décharges électriques. Ce sont des myocytes (cellules musculaires) modifiées qui, au lieu de se contracter sous l’action d’un influx nerveux transmis par un neurone, changent, par circulation d’ions, la polarisation d’une de leur membrane, créant ainsi un potentiel électrique de l’ordre d’une centaine de microvolts.. La mise en série de ces potentiels créent un potentiel électrique élevé allant jusqu’à 600 volts.
L’ensemble des électrocytes en série fournit une tension élevée dont on peut voir les effets sur la vidéo suivante où l’on approche d’une anguille électrique un simulacre de prédateur muni de nombreuses DELs qui visualisent l’effet des décharges électriques produites par l’anguille. La première partie du film est un ralenti, la deuxième le déroulé en temps réel qui lui correspond.
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Tiré de Leaping eels electrify threats, supporting Humboldt’s account of a battle with horses, Kenneth C. Catania, Supplementing information, PNAS, June 21, 2016, vol. 113 no. 25 , C.C.
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L’organe électrique artificiel
Les chercheurs ont imité l’anatomie de l’anguille électrique en assemblant quatre étages d’hydrogels analogues aux 4 composants d’un électrocyte que l’on peut voir sur la figure 1 b. La Fig.2 a illustre ceci : on répète un motif à quatre composants,
-1, en rouge, un hydrogel à haute salinité,
-2, en vert, un hydrogel cation sélectif (permettant le passage de ceux-ci),
-3, en bleu, un hydrogel à haute salinité,
-4, en jaune, un hydrogel anion-sélectif.
Chaque groupe de 4 composants mis au contact génère une tension d’environ 150 mV en circuit ouvert. 2400 de ces éléments fournissent en série quelques 110 volts. La Fig.2 a montre un assemblage de deux arrangements de gels complémentaires. C’est le contact mécanique entre ces derniers qui active la création de potentiel électrique comme c’était l’influx nerveux dans les neurones de l’organe électrique de l’anguille qui déclenchait la décharge.
Ces panneaux d’hydrogels s’obtiennent facilement grâce à des machines d’impression de gels existant industriellement. On peut déclencher la décharge en rapprochant les hydrogels par des systèmes de pliages sophistiqués. Avec 2449 pastilles d’hydrogels, et la mise en série de chacun des motifs à 4 hydrogels, les scientifiques ont obtenu un potentiel de 110 V avec une puissance de 50µW. On est loin des décharges de 600 volts sous 100W de l’anguille électrique. En utilisant des films minces d’hydrogels, on diminue la résistance du circuit et on augmente la puissance. Ces films minces sont encore bien épais par rapport à la taille des électrocytes d’ Electrophorus electricus. En passant à des nano-films, on pourra améliorer les choses. Mais on n’a peut-être pas besoin de beaucoup de puissance pour charger les batteries de senseurs implantés dans le vivant ou de peacemakers.
Pour en savoir plus :
An electric-eel-inspired soft power source from stacked hydrogels,
Thomas B. H. Schroeder, Anirvan Guha, Aaron Lamoureux, Gloria VanRenterghem, David Sept, Max Shtein, Jerry Yang & Michael Mayer
NATURE, 5 5 2 , 1 4 d e c e m b er 2 0 1 7