Des vitrimères à partir de thermoplastiques de récupération
De nombreux objets manufacturés allant des automobiles et des éoliennes jusqu’aux prothèses dentaires, par exemple, exigent des matériaux et composites faciles à produire, à assembler et à modifier. Ces matériaux doivent également avoir des propriétés mécaniques, thermiques et de résistance chimique particulièrement élevées. Il est aussi important qu’on puisse les recycler. Les vitrimères (voir le blog du15 Fév 2012 « Les vitrimères, des plastiques révolutionnaires qui ont les qualités des verres »), inventés il y a quelques années par Ludwik Leibler et ses collègues du laboratoire Matière Molles et Chimie (MMC-ESPCI Paris/CNRS) présentent ces qualités. Mais voici que la même équipe vient de trouver une réaction chimique inédite qui permet de transformer en vitrimère tout polymère ayant un squelette carboné, ce qui est le cas de 75% des plastiques.
Rappelons que les vitrimères sont des polymères qui peuvent changer leur forme en gardant constant le nombre de liaisons chimiques ou de liaisons croisées (nœuds de réticulation) qui se déplacent par des réactions d’échange. A haute température, ces réactions s’accélèrent et on peut modifier la forme du matériau comme on le fait pour du verre. Au refroidissement, il retrouve sa résistance mécanique et chimique.
Les chercheurs ont utilisé une réaction d’échange d’atomes entre molécules dite de métathèse.
La métathèse des dioxaborolanes
La figure ci—dessous schématise ce type de réactions sur des composés organiques appelés dioxaborolanes (ils contiennent un atome de bore lié à 2 atomes d’oxygène). La métathèse échange ici des fragments de molécules liés ensemble par une forte liaison carbone –bore.
Ces réactions chimiques ont lieu sans addition de catalyseurs à des températures modérées de l’ordre de 60° C.
La synthèse des vitrimères
En utilisant des réactions de métathèse avec les dioxaborolanes, l’équipe de l’ESPCI a réussi à synthétiser des vitrimères à partir de polymères contenant uniquement des liaisons chimiques C-C dans leur squelette. Ils ont mis au point deux méthodes :
l’une (Fig.2 A) est utilisable avec le PMMA (poly(méthyl méthacrylate)) et le PS (polystyrène). Elle consiste à préparer des copolymères de PMMA ou PS qui contiennent des moitiés pendantes (ayant une liaison libre) de dioxaborolane.
L’autre (Fig.2B) consiste à greffer des monomères contenant des dioxaborolanes pendantes sur des polymères. Elle est utilisable avec le HDPE (polyéthylène à haute densité).
Une fois cette configuration de polymères avec dioxaborolanes pendantes obtenue, il suffit de créer des liaisons croisées entre polymères contenant des dioxaborolanes pendantes par une réaction de métathèse (Fig.2. C) avec une bi-dioxaborolanes (avec deux têtes BO2).
Propriétés de ces vitrimères
Les vitrimères ainsi obtenus à partir de méthacrylates, de polystyrènes ou de polyéthylène haute densité ont des propriétés thermiques et de résistance mécanique supérieures à celle des plastiques de départ.
Tous ces vitrimères peuvent bien sûr être usinés et réusinés par extrusion, compression ou moulage par injection. Et ces processus peuvent être réitérés plusieurs fois ce qui prouve la robustesse des vitrimères obtenus à l’aide de dioxaborolanes. Leur recyclage ne pose donc pas de problème.
On compare sur la Fig.3 quelques propriétés de ces vitrimères et de leurs polymères d’origine .
Un objet en polystyrène mis en contact avec un mélange eau-alcool est fragilisé par la formation de nombreuses fissures alors que le même objet fait dans le vitrimère correspondant résiste mieux et bien plus longtemps (Fig.3A). La réticulation des vitrimères augmente la résistance au fluage (déformation sous l’effet de l’augmentation de la température) mesurée durant 16H30 à 80°C sous une charge de 5 MPa (Fig.3B). En collant ensemble du PMMA et du polyéthylène, on obtient un joint avec une force d’adhésion de 400N/m. En soudant des vitrimères correspondant, l’un au PMMA, l’autre au PE, on a une force d’adhésion bien plus élevée (Fig.3C).
On a donc un procédé chimique simple et peu onéreux, à basse température et sans catalyseurs. Il permet de transformer tout thermoplastique en un vitrimère lui correspondant, mais avec des propriétés thermiques et mécaniques bien supérieures. Dans des domaines aussi différent que l’emballage, l’électronique, la robotique ou la micro-fluidique, on a souvent besoin d’assembler des polymères de différentes propriétés. Pour les thermoplastiques ordinaires, il faut utiliser des techniques adaptées de collage. On peut, au contraire, souder entre eux très facilement des vitrimères de types différents. Cette propriété donne des possibilités de réparation, d’assemblage, d’alliages de polymères incompatibles et ouvre la voie au recyclage des plastiques sans même avoir besoin de les trier.
Pour en savoir plus :
High-performance vitrimers from commodity thermoplastics through dioxaborolane metathesis,
Max Röttger, Trystan Domenech, Rob van der Weegen, Antoine Breuillac, Renaud Nicolaÿ, Ludwik Leibler,
Science, 356, 62–65 (2017).