Au 19ème siècle, les artistes anglais révolutionnent la peinture
Ces peintres modifièrent les propriétés des peintures qu’ils utilisaient en leur rajoutant un gel, le “médium “. Cela leur a permis, d’une part de peindre d’une façon plus fluide, spontanée et rapide, d’autre part de pouvoir obtenir des effets nouveaux dans la texture de la peinture. Une équipe de scientifiques français (Université de Paris UPMC, Université de Haute Alsace, Mulhouse, du CNRS Paris et LVMH Recherche) ont trouvé l’explication chimique de ces procédés.
Cette nouveauté était due à l’introduction de pigments synthétiques mais surtout à celle d’un médium ajouté au mélange de pigments broyés et d’huile qui constituait jusque-là la peinture à l’huile.
Turner fit, en 1841, à la Royal Academy of London, la démonstration qu’il pouvait achever en trois jours seulement le tableau dont on voit la reproduction ci-dessous. Et cela, grâce à un nouveau type de médium, mélange de l’huile utilisée pour sa peinture, d’acétate de plomb (ou de PbO) et de résine mastic.
Ce médium est en fait un gel dont on ajoute une faible quantité à la peinture. La figure ci-dessous illustre l’effet ainsi obtenu.
L’addition de tels gels à la peinture facilite le travail du peintre : la peinture s’étale mieux, se fixe rapidement au support et sèche vite. Cela permet d’appliquer rapidement plusieurs couches, les unes au-dessus des autres, sans avoir à attendre de longues périodes de séchage.Pour expliquer scientifiquement ces propriétés, les chercheurs ont tout d’abord préparé des reconstitutions des média du 19ème siècle grâce à une compilation de recettes de ces adjuvants qui avait déjà été publié. Ils observèrent que les différentes formules conduisaient à l’obtention d’un gel. Ils en ont étudié les propriétés spectroscopiques et celles, viscoélastiques, qui leur étaient communes.
Dans les préparations reconstituées, on introduit du plomb dans le médium sous forme d’acétate de plomb (Pb(CH3COO)2) en poudre ou en solution saturée dans de l’essence de térébenthine. Il se forme alors un gel. Après adjonction de ce dernier à une peinture, les propriétés de celle-ci sont fortement modifiées.
Ceci est visible sur la Fig.3., ci-dessus, où l’on a porté le module d’élasticité en fonction de la contrainte pour une peinture laque, un médium et la peinture à laquelle on a ajouté 10% de ce médium. On voit que ce dernier mélange est cent fois plus rigide que le médium seul et mille fois plus que la peinture seule. Les viscosités sont augmentées de façon similaire.
Le médium induit la formation d’un matériau qui a des propriétés élastiques plus fortes que celle du médium seul. C’est ce qui a permis aux peintres du 19ème siècle de peindre vite et de créer des empâtements. La tradition orale et de nombreuses recettes retrouvées montrent que les peintres croyaient nécessaire d’ajouter de l’huile au mélange de résine mastic avec un composé de plomb pour créer un gel. Les scientifiques ont pu montrer qu’il n’en était rien. La simple combinaison d’une solution de résine mastic avec un composé du plomb crée un gel, appelé gel hybride en raison de la présence d’un matériau organique, la résine mastic, et d’une substance minérale, le composé du plomb.
Deux siècles avant ces résultats, les artistes avaient réussi par pur pragmatisme à préparer ces gels hybrides et à utiliser leurs propriétés pour modifier leur technique de peinture à l’huile et obtenir des effets visuels nouveaux, à l’instar de Turner. Aujourd’hui, le médium est d’utilisation constante dans les peintures pour artistes et il est même courant de voir des gels ajoutés dans les peintures industrielles pour améliorer leurs qualités.
Pour en savoir plus :
A 19th Century “Ideal” Oil Paint Medium: A Complex Hybrid Organic–Inorganic Gel,
Laurence de Viguerie, Maguy Jaber, Hélène Pasco, Jacques Lalevée, Fabrice Morlet-Savary, Guylaine Ducouret, Baptiste Rigaud, Thierry Pouget, Clément Sanchez, and Philippe Walter.
Angewandte Chemie, Int. Ed. 2017, 56, 1 – 6