Une signature isotopique de l’origine bactérienne de magnétites
Des bactéries particulières, appelées magnétotactiques, synthétisent en leur sein des nanoparticules de magnétite, un oxyde de fer minéral magnétique (Fe3O4). Cela leur permet de s’aligner le long du champ magnétique terrestre. On trouve de la magnétite dans des couches sédimentaires, mais, jusqu’ici, on ne pouvait savoir si elle provenait ou non de bactéries qui, en mourant, l’avait déposée. Afin d’obtenir une méthode d’identification des fossiles de bactéries magnétotactiques, des chercheurs de l’Institut de Physique du Globe de Paris, de l’Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie et de la société Nanobactérie ont mesuré la composition isotopique du fer de cristaux de magnétite produite par des bactéries cultivées au laboratoire. Ils ont mis en évidence une anomalie isotopique caractéristique de la magnétite synthétisée par celles-ci.
Rappelons que les protons et les neutrons sont quasiment de même masse, que les protons ont une charge positive égale à la valeur absolue de la charge de l’électron alors que les neutrons sont de charge nulle.
Le fer trouvé dans la nature est composé de 4 isotopes stables, dans les proportions suivantes : le 54Fe (5,845 %), le 56Fe (91,754 %), le 57Fe (2,119 %), le 58Fe (0,282 %).
Les bactéries magnétostatiques sont parmi les plus anciens microorganismes capables de biominéralisation. Les cristaux de magnétites mesurent de 35 à 120 nm.
Il est intéressant de savoir si les magnétites trouvées dans les sédiments sont issues de l’intérieur de cellules de bactéries ou non. C’est pour cela que les chercheurs ont cultivé des bactéries magnétotactiques de l’espèce Magnetospirillum magneticum (Fig.1.).
On distingue sur la figure précédente des chaînes de cristaux de magnétite. Elles sont contenues dans des structures membranaires appelées magnétosomes.
Ces bactéries ont été cultivées dans des milieux contenant soit du quinate de Fe(III), soit de l’ascorbate de Fe(II), qui seront utilisés par les bactéries pour synthétiser la magnétite.
Les bactéries synthétisent le Fe3O4 avec ses deux types d’ions, aussi bien dans un des milieux de culture précédents que dans l’autre.
Une petite fraction des milieux de culture est prélevée avant et après l’introduction des bactéries et on y dose la composition isotopique du fer. On a aussi effectué ce dosage sur des magnétites d’origine minérale pour comparaison et, bien sûr, sur les magnétites, dites biomagnétites, isolées à partir des bactéries mortes, le lysat. Ce lysat est filtré et purifié. Les chaînes de magnétosomes sont séparées magnétiquement. Les membranes des magnétosomes sont dissoutes chimiquement et les magnétites sont traitées pour supprimer toute trace de fer adsorbé.
La figure 2 présente les stades successifs d’obtention de ces biomagnétites.
Le dosage des isotopes est effectué par spectrométrie de masse.
Le quinate de Fe(III) et l’ascorbate de Fe(II) sont les sources de fer dans les deux types de milieux de culture utilisés. Dans ces deux cas, on trouve que le lysat de bactéries est enrichi en isotope 56Fe de 0,3 à 0,8 0/00 par rapport à ses sources initiales(Fig.3.).
Enfin les chercheurs ont observé que les magnétites des lysats bactériens étaient appauvries en isotope 57Fe pour la culture en milieu contenant du quinate de Fe(III). Le fait que le 56Fe s’enrichisse alors que le 57Fe s’appauvrit est remarquable car les enrichissements isotopiques habituellement observés sont proportionnels à la masse. Ici, on a une variation isotopique indépendante de la masse.
Le mécanisme qui conduit à cette signature isotopique des biomagnétites est loin d’être élucidé et ouvre un intéressant domaine de recherche. Mais, de toute façon, ce fractionnement isotopique a une grande importance pour l’identification de fossiles de bactéries magnétotactiques dans des couches de sédiments terrestres, mais aussi pour des fossiles extra-terrestres comme ceux observés dans des météorites.
Pour en savoir plus :
Mass-dependent and -independent signature of Fe isotopes in magnetotactic bacteria
Matthieu Amor, Vincent Busigny, Pascale Louvat, Alexandre Gélabert,
Pierre Cartigny, Mickaël Durand-Dubief, Georges Ona-Nguema,
Edouard Alphandéry, Imène Chebbi, François Guyot.
SCIENCE, 706-707, 6 MAY 2016 • VOL 352 ISSUE 6286