Un micro-gravimètre qui mesure les marées terrestres
On appelle marées terrestres les déformations élastiques que subit, malgré son importante viscosité, la croûte terrestre sous l’influence des mouvements relatifs de la Terre, du Soleil et de la Lune, mouvements qui sont aussi à l’origine des marées des mers et des océans. Les déformations de la croûte terrestre conduisent à de faibles variations locales de l’accélération gravitationnelle. De telles variations peuvent aussi signaler des poches d’hydrocarbures, les montées de magma qui précèdent les éruptions volcaniques et la présence de cavités souterraines. Les gravimètres actuels capables de telles mesures sont extrêmement coûteux (≈ 100 000 €) et fort lourds (masse d’une dizaine de kilogrammes). Des physiciens britanniques ont réalisé un dispositif MEMS (de l’anglais microelectromechanical system, microsystème électromécanique) d’un volume de quelques centimètres cubes et d’une extrême sensibilité. Ce dispositif peu onéreux peut être produit en série comme les accéléromètres des smartphones, mais il présente par rapport à ceux-ci une sensibilité et une stabilité incomparables .
On peut classer les gravimètres en 2 catégories ; les gravimètres absolus et les gravimètres relatifs. Les premiers mesurent le temps de chute d’une masse sur une hauteur donnée. Ils sont très sensibles mais lourds (≈ 150 kg) et très onéreux. Les seconds sont basés sur la mesure de l’élongation d’un ressort sous l’effet du poids agissant sur une masse donnée. Un tel système possède une fréquence de résonance fr.
Pour que le déplacement de la masse soit proportionnel à l’accélération, il faut que les signaux analysés soient de fréquence inférieure à fr , fréquence qui doit pourtant être faible pour que le système ait une forte sensibilité. Les physiciens ont réalisé un système dont la fréquence de résonance, 2,31 Hz, est bien adaptée à la mesure gravimétrique : deux arches flexibles, formant ressorts en opposition, supportent le bas d’une masse test soumise à l’accélération ; une troisième arche flexible montée en porte-à-faux supporte le haut de la masse Ceci contraint le mouvement de celle-ci selon un axe figuré en rouge sur la Fig.1 ci-dessous. Le tout est entièrement découpé dans une plaquette de silicium.
Le mouvement de la masse est mesuré par un senseur optique constitué d’une DEL (diode émettrice de lumière) et d’une photodiode placées de part et d’autre du dispositif MEMS. L’ensemble est placé dans une enceinte en cuivre qui est thermostatée ainsi que le MEMS lui-même (Fig.2).
Les fréquences des marées terrestres étant très basses (périodes très grandes), il est nécessaire d’avoir une très grande stabilité du dispositif. La régulation fine de température y contribue grandement.
Pour tester le dispositif, on a enregistré durant 5 jours le signal dû aux marées terrestres dans un laboratoire de l’université de Glasgow (Fig.3. ci-dessous). L’accélération de la gravité y est tracée en fonction du temps. Deux tels cycles de mesures espacés de 2 mois ont permis de confirmer la stabilité de l’appareil.
La sensibilité du dispositif est suffisante pour détecter une cavité souterraine de 2 m2 de section sur 4m de long située à une profondeur de 2m. Il peut détecter des réserves de pétrole d’une taille supérieure à 50m x 50m x 50m à une profondeur de 150m. On admet couramment que l’intrusion de magma dans un réservoir précède une éruption volcanique et engendre une variation de gravité comme celle de 40µGal observée lors d’une éruption aux Canaries en 2011. La comparaison de la déformation du sol avec la variation de la gravité peut permettre de suivre l’évolution de chambres magmatiques situées à plusieurs kilomètres de profondeur.
Ce gravimètre à MEMS peut facilement être installé sur des drones. La recherche des gisements de pétrole ou de gaz s’affranchirait ainsi des dangereux vols d’avion à basse altitude jusqu’ici nécessaires.
En outre, on pourrait l’appliquer à la détection de cavités souterraines et même au repérage des installations du sous-sol urbain. Dans des zones hostiles à l’homme, comme les régions volcaniques, on pourrait installer avec ces petits gravimètres peu onéreux un réseau qui surveillerait volcans et glissements de terrain et permettrait de prévoir des catastrophes naturelles.
Pour en savoir plus :
Measurement of the Earth tides with a MEMS gravimeter P. Middlemiss, A. Samarelli, D. J. Paul, J. Hough, S. Rowan & G. D. Hammond, N AT U R E, Vol 531, 31 march 2016