Des électrons accélérés par la lumière

Dans les accélérateurs de particules actuels, un champ électrique  radiofréquence augmente  la vitesse, donc l’énergie, des électrons ou des ions. Utiliser le champ électrique de la lumière de longueur d’onde    plusieurs milliers de fois plus petite avec une intensité bien plus élevée pourrait théoriquement permettre d’avoir des machines  de taille extrêmement réduite.  Deux équipes de recherche, l’une en Allemagne, l’autre aux Etats-Unis viennent de démontrer expérimentalement qu’il était bien possible d’accélérer des électrons avec de la lumière visible plus rapidement que dans les accélérateurs conventionnels. On peut imaginer  construire bientôt des accélérateurs compacts pouvant se poser sur une table. Ceci permettrait d’avoir des jets de particules  et des sources de rayons-x  sans avoir besoin d’aller dans les grands appareillages que sont les accélérateurs actuels.  Nombre d’applications médicales en découleraient.

Dans les accélérateurs linéaires classiques, les électrons sont accélérés par  des champs électriques produits par  des électrodes tubulaires successives. Mais  ces électrodes métalliques ne supportent que des champs électriques limités. Les chercheurs ont envisagé depuis longtemps d’utiliser des isolants aux fréquences élevées de la lumière visible pour pouvoir utiliser des champs électriques 100 fois plus élevés et obtenir des accélérateurs moins encombrants. Encore fallait-il construire des structures d’interaction électrons-lumière à la taille des longueurs d’onde du visible (0,5 µm) et démontrer la possibilité d’une accélération. C’est ce qu’ont réalisé les deux équipes de recherche.

Fig.1. Schéma de l’expérience de Garching, Allemagne. Des électrons produits par un microscope à balayage (à gauche) passent sur un réseau transparent en silice.

Fig.1. Schéma de l’expérience de Garching, Allemagne. Des électrons produits par un microscope à balayage (à gauche) passent sur un réseau transparent en silice. Ils interagissent là avec le champ électrique de l’impulsion laser qui se propage de bas en haut. Un objectif de microscope suivi d’une caméra CCD permet de régler la focalisation du laser. Les électrons assez accélérés pour passer à travers le spectromètre sont détectés sur une plaque à micro-canaux (MCP). Un champ magnétique Bdéfl défléchit les électrons pour les séparer des photons de haute énergie provenant de la colonne d’électrons émis. Le système de comptage permet de s’assurer que les électrons de haute énergie sont bien corrélés dans le temps avec les impulsions laser. Crédit P.Hommeloff. PRL.

Les plaques à micro-canaux (dites aussi  à multicanaux) sont des plaques percées d’un millier de canaux d’environ 10 µm de diamètre de long qui agissent comme des multiplicateurs d’électrons grâce au champ électrique appliqué de part et d’autre de la plaque d’une épaisseur de l’ordre de 400µm.

Les structures microscopiques utilisées
Pour obtenir une interaction entre les champs électriques intenses d’un  faisceau laser et des électrons, les chercheurs utilisent de minuscules structures isolantes formées par  un  réseau en silice.

Un réseau de diffraction est un dispositif optique composé d’une série de fentes parallèles (réseau en transmission), ou de rayures réfléchissantes (réseau en réflexion). Ces traits sont espacés de manière régulière, l’espacement est appelé le « pas » du réseau.

Dans l’expérience de la figure 1, le faisceau lumineux  est issu d’un laser Titane- Saphir pulsé avec une fréquence de répétition de 2,7 Mhz. Ce laser a une longueur d’onde λ= 787 nm, ce qui correspond au rouge du spectre visible. Le réseau utilisé est en silice  et est formé de traits équidistants séparés par λP = 750 nm.   On peut voir sur la figure 2 une image du réseau au microscope électronique à balayage. Il constitue le cœur du  dispositif puisque c’est là que  le champ électrique de la lumière laser envoyée perpendiculairement à la surface du réseau se couple au faisceau d’électrons. L’utilisation d’un isolant (ou diélectrique) permet d’utiliser des champs électriques 100 fois plus élevés qu’avec un réseau en métal, par exemple.
On appelle ces systèmes Accélérateurs Laser à Diélectrique (ALD, en anglais DLA).

Fig. 2. Micrographie par microscope électronique à balayage du réseau en silice diélectrique. Il apparaît opaque à cause de la métallisation appliquée aux objets isolants pour la microscopie par balayage. Crédit P.Hommeloff. PRL.

Fig. 2. Micrographie par microscope électronique à balayage du réseau en silice diélectrique. Bien que transparent, il apparaît opaque parce qu’il a été  métallisé pour les nécessités de la microscopie par balayage. Crédit P.Hommeloff. PRL.

 L’accélération obtenue à partir d’électrons de basse énergie

P. Hommeloff et J. Breuer de l’ Université Friedrich Alexander, Erlangen-Nuremberg  et du Max Planck Institute of Quantum Optics, Garching, Allemagne, ont ainsi réussi à accélérer  des électrons de 27 keV avec  un gradient d’accélération, c’est-à-dire une augmentation d’énergie par unité de longueur, de 25 MeV/m. C’est l’ordre  de grandeur de l’accélération  donnée par les accélérateurs classiques.
D’autre part, la théorie prévoit, pour des électrons relativistes ,c’est à-dire à vitesse proche de celle de la lumière ( énergie de l’ordre de 1MeV)   une forte augmentation de l’efficacité de l’accélération Laser.
Pour passer à une réalisation pratique, les chercheurs proposent un accélérateur laser à diélectrique (ALD) composé de plusieurs sections. Il est schématisé sur la figure 3. Une source A d’électrons  les  injecte dans trois premières sections B1, B2, B3  où les électrons ont une vitesse non relativiste, suivie d’une section C relativiste.

 Figure 3. Schéma d’un accélérateur linéaire ALD avec une source d’électron A, trois sections non relativiste B1,B2,B3 et une section relativiste C qui sont alimentées par le même laser pulsé de puissance. Ceci aide à assurer les synchronisations nécessaires entre le faisceau d’électrons et les impulsions laser dans toutes les sections de l’appareil. Grad. D’Acc. abrège Gradient d’accélération L’image, simple schéma, n’est pas à l’échelle. Crédit P. Hommeloff. PRL.


Figure 3. Schéma d’un accélérateur linéaire ALD avec une source d’électron A, trois sections non relativiste B1, B2, B3 et une section relativiste C qui sont alimentées par le même laser pulsé de puissance. Ceci aide à assurer les synchronisations nécessaires entre le faisceau d’électrons et les impulsions laser dans toutes les sections de l’appareil. (Grad. D’Acc. abrège Gradient d’accélération). L’image, simple schéma, n’est pas à l’échelle. Crédit P. Hommeloff. PRL.

 L’accélération à partir d’électrons relativistes

L’équipe américaine, dirigée par R. Byer de Stanford University,  Stanford, Ca.,USA ,a elle aussi démontré la faisabilité de l’accélération d’électrons par laser. Mais elle est partie d’un faisceau d’électrons déjà relativistes fournis par un accélérateur linéaire classique. Ils ont donc obtenu un gradient d’accélération plus élevé (environ 300 MeV/m ), comme prévu par l’équipe allemande.  Cela confirme donc expérimentalement  que l’accélération par laser est plus efficace sur les électrons relativistes.
La figure 4 ci-dessous  montre le type de réseau un peu différent utilisé par les chercheurs de Californie. Il s’agit de la superposition de deux réseaux de 800 nm de pas séparés par un intervalle de 400 ou 800nm.  Le reste de l’installation est assez comparable. Le système de détection est purement optique.

Fig.4. Expérience réalisée à l’accélérateur linéaire SLAC National Accelerator Laboratory, Menlo Park, Californie, USA. (a)Micrographie de la section longitudinale du double réseau en silice. (b)Schéma de l’expérience

Fig.4. Expérience réalisée à l’accélérateur linéaire SLAC National Accelerator Laboratory, Menlo Park, Ca., USA.
(a) Micrographie de la section longitudinale du double réseau en silice.
(b) Schéma de l’expérience : le faisceau d’électrons relativistes est focalisé dans le double réseau par des lentilles magnétiques. Crédit Nature.

Les deux équipes ont décidé d‘associer leurs dispositifs  pour obtenir  à partir d’électrons de faible énergie des électrons relativistes de vitesse proche de celle de la lumière.
Cette avancée semble très prometteuse. On peut espérer qu’elle permette un jour la réalisation d’accélérateurs compacts, aux nombreuses applications tant en physique qu’en médecine.

Pour en savoir plus :
Laser-Based Acceleration of Nonrelativistic Electrons at a Dielectric Structure
John Breuer                  Max Planck Institute of Quantum Optics, Garching, Allemagne
Peter Hommelhoff         Department of Physics, Friedrich Alexander University Erlangen-Nuremberg & Max Planck Institute of Quantum Optics, Garching, Allemagne
Physical Review Letters111, 134803 (27 septembre 2013)
 
Demonstration of electron acceleration in a
laser-driven dielectric microstructure
E. A. Peralta, K. Soong, R. J. England, E. R. Colby, Z. Wu, B. Montazeri, C. McGuinness, J. McNeur, K. J. Leedle, D.Walz, E. B. Sozer, B. Cowan, B. Schwartz, G. Travish & R. L. Byer
Nature,(2013) doi:10.1038 (27 septembre 2013)