L’énigme du piège de la dionée
Les mouvements des plantes sont généralement lents. Il en existe cependant de fort rapides. Citons les explosions de fruits servant à la dispersion des graines chez la balsamine des bois (Impatiens noli me tangere), les réactions de défense de la sensitive (Mimosa pudica) , ou ceux d’une plante carnivore comme la dionée attrape-mouche (Dionaea muscipula). La fermeture des feuilles de celle-ci sur un insecte ayant touché leurs poils sensitifs se produit en une fraction de seconde. Ce phénomène de biomécanique qui émerveilla Darwin a attiré l’attention de chercheurs de l’ IUSTI, à Marseille, qui ont monté un dispositif expérimental de mesure des paramètres physiques des cellules de la plante lors de cette fermeture.
Les feuilles de Dionaea muscipula sont disposées en rosettes d’un diamètre variant de 10 à 15 centimètres. La partie supérieure des feuilles forme le piège, une sorte de mâchoire composée de deux lobes foliaires reliés par une nervure centrale épaisse. Ces deux lobes sont bordés sur leur partie supérieure d’une quinzaine de dents en formes d’épines légèrement courbées vers l’intérieur. La face interne des lobes est couverte de milliers de glandes digestives et de quelques poils sensitifs (3 ou 4 par face).
Les plantes sont des organismes vivants qui sont capables de mouvement alors qu’elles ne possèdent pas de muscles. Dans le cas de la dionée, Y. Forterre de l’IUSTI et ses collaborateurs à Harvard, USA. ont montré récemment que ce mouvement rapide se faisait par l’intermédiaire d’une instabilité de flambage en relation avec la forme en coquille des feuilles du piège qu’elles constituent.
Le module d’Young est une valeur caractéristique de tout matériau élastique : c’est le rapport entre la contrainte (pression) exercée sur le matériau et la déformation relative qui en résulte tant que celle-ci reste faible.
La feuille tourne sa concavité vers l’extérieur dans le cas ouvert et vers l’intérieur dans le cas fermé.
Les hypothèses les plus sérieuses envisagées pour expliquer le processus de la fermeture sont les suivantes : celle-ci serait due, soit à une variation de l’élasticité des tissus de la feuille, soit à un écoulement entre cellules dû à une variation de la pression interne, soit encore à une combinaison de ces deux effets .
Dans le but de tester ces hypothèses sur le mécanisme microscopique de la fermeture, Mathieu Colombani a développé à l’IUSTI deux montages expérimentaux.
Le premier mesure la pression intracellulaire:
Pour effectuer des mesures sur la cellule durant la stimulation du piège, il est nécessaire d’immobiliser les lobes des feuilles étudiés. On utilise pour cela une pâte dentaire au silicone.
Un capillaire est inséré à l’intérieur d’une seule cellule grâce à un micromanipulateur. Il permet d’instiller de très faibles quantités de liquide dans la cellule grâce à une vis micrométrique mue par un moteur et agissant sur un piston. En injectant un très faible volume d’eau, on peut mesurer la variation de pression interne correspondante de la cellule. Ceci permet d’atteindre la compressibilité de la cellule. Celle-ci fournit un moyen indirect d’estimer le module d’Young de la paroi de la cellule.
Ce montage a permis de mesurer un temps caractéristique de 3 secondes pour la relaxation d’une cellule après une surpression. Pour que celle-ci diffuse sur l’épaisseur de la feuille, il faut un temps plus grand encore, de l’ordre de 2 min. Ce temps est bien trop long pour qu’on puisse expliquer le mécanisme de la fermeture par un écoulement rapide entre cellules dû à un changement de pression.
La deuxième expérience consiste à mesurer, toujours in situ, le module d’Young du tissu de la feuille dans les deux états, ouvert ou fermé :
On applique un palpeur sphérique contre la face interne d’un lobe foliaire. un rhéomètre permet de mesurer la pression exercée et le déplacement correspondant. Le lobe est là encore immobilisé.
Les valeurs mesurées du module d’Young sont de 6MPa sur la face intérieure de la feuille de la Dionée et de 3 MPa sur sa face extérieure, mais on n’observe pas de variations entre l’état ouvert ou fermé.
Ces mesures sont les premières à avoir été effectuées in vivo sur des plantes capables de si rapides mouvements.
Mais il en résulte que le mystère de la fermeture rapide des feuilles de la Dionée reste entier. Des recherches plus approfondies semblent nécessaires. Peut-être faudra-t-il arriver à effectuer mesures de pression et d’élasticité sur des plantes aux feuilles non immobilisées et pour cela mettre au point de nouvelles techniques.
Pour en savoir plus:
Biomechanics of rapid movements in plants: poroelastic measurements at the cell scale.
M. Colombani, Y. Forterre. Computer Methods in Biomechanics and Biomedical Engineering, Vol. 14, No. S1, August 2011, 115–117
How the Venus flytrap snaps.
Y. Forterre, J.M. Skotheim ,J. Dumais ,L. Mahadevan 2005. Nature 433:421–425, 2005